transmission et respiration

Transmission et respiration
Bouger et vivre pleinement. Un lien entre sport et méditation : l’art d’être présent dans l’instant.
Par Cécile Domergue
Quel point commun entre le psychiatre breton Jean-Christophe Seznec et l'ingénieur bordelais d’adoption Jean Bercy ? Au-delà d’un prénom partagé, une passion pour le sport couplée d’une volonté commune de transmettre, chacun dans son contexte, les valeurs qui ont modelé leurs parcours respectifs. Alors que Seznec prenait la plume pour s’adresser au plus grand nombre sur ses passions vues à travers le prisme de son activité professionnelle, Bercy fondait la Maison Manpai1 à Bordeaux : un centre holistique avec une approche corps-cœur-esprit autour du mieux-être.
Vivre l'instant
Avec son livre Le sport, psychologie d’une passion, paru le 19 février 2025, Jean-Christophe Seznec n’en est pas à son coup d'essai. Le psychiatre, spécialisé en thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) et médecin du sport, exprime sa fierté d'avoir rédigé cet ouvrage à la convergence de ses différents champs de compétence.
Sans tout dévoiler de son dernier opus, il nous explique : « Le sport est une manière de vivre l’instant présent en soi et autour de soi. Le sportif est un éternel apprenant qui éprouve du plaisir à être en mouvement, dans un « flow » qui dépasse l’objectif de la gagne. Dans cette optique, il s’agit de donner le meilleur de soi, profitant pleinement de l’expérience à vivre sans fixation sur l’objectif final.
L’ACT et la méditation de pleine conscience renforcent, ajoute-t-il, l’ancrage dans le moment présent. Ces pratiques aident le sportif à prendre conscience des pensées qui viennent le parasiter, notamment les pensées autocritiques ou les injonctions de réussite. La reconnaissance de ces phénomènes cognitifs pour ce qu’ils sont, de simples pensées de passage, permet au sportif de ne pas entrer dans un dialogue intérieur sans fin avec eux. Ce processus ouvre la voie à l’accueil émotionnel. Ce dernier permet au sportif de rediriger l’énergie issue du champ émotionnel et affectif sur le terrain, de manière constructive plutôt que réactionnelle. Pour utiliser une métaphore ACT, je dirai qu’on ne peut pas jouer le match et être en train de le commenter dans les gradins. Le sportif constate l’autocritique de gradin et la laisse être sans dialoguer avec elle, il laisse ainsi place à l’accueil émotionnel dont l’intelligence se répercute dans le match, il est présent dans l’ici et maintenant. »
Au-delà des écueils
On comprend ici qu’un sportif, plus conscient de son équation comportementale1 et entrainé à rétablir sa focale attentionnelle sur l’instant, via le souffle, développe sa capacité de choisir. Il acquiert l’espace de liberté nécessaire pour répondre à un stimulus selon les valeurs qui le gouvernent plutôt que d’y réagir de façon automatique. Ceci favorise le développement de l’expérience optimale (ou flow) pour le sportif ainsi que les actions engagées, utiles et les attitudes habiles.
Jean-Christophe Seznec insiste sur l’importance des valeurs qui guident l’individu : « Les sportifs qui se reconvertissent le plus aisément sont ceux dont les valeurs transcendent le sport et se répercutent dans tous les champs du quotidien. Ces dernières participent à un équilibre personnel qui permet de surfer au-delà des écueils tels que l’addiction ou la déshérence de fin de parcours sportif ». Ces propos sont parfaitement illustrés par le parcours de Jean Bercy.
Ancrage par la respiration
Comme Obélix, Jean Bercy est tombé dans la marmite sportive dès l’enfance. Gymnaste sur agrès jusqu’à l’adolescence, il se tourne ensuite vers les arts martiaux avec, notamment, le karaté.
Des compétitions, il se souvient en ces termes : « Ah oui, c’est vrai, il y en avait, maintenant que vous posez la question. Mais j’aimais le sport et avec les agrès, j’avais une bonne condition physique au moment de commencer le karaté, ça compte. »
Ingénieur de formation, il débute dans l’industrie pétrolière pour rejoindre l’industrie de l’environnement dès les premiers rounds du protocole de Kyoto. « À cette période, j’ai senti l’impériosité de devenir responsable, pour soi et pour les autres. Mon métier devait être en conformité avec mes valeurs. J’ai longtemps été un peu perché comme on dit, un peu dans l’intellectualisation. J’ai dû apprendre à être plus incarné, plus présent dans mon corps avec le souffle et la sensorialité. J’ai largement bénéficié de deux bulles de centrage dans l’instant : la musique et le sport. »
Avec le karaté, il a découvert un chemin de spiritualité agnostique. « Au fil de ce parcours, poursuit-il, j’ai découvert d’autres pratiques également ancrées par la respiration dont la méditation, le yoga, le Qi gong, le Tai-chi, la boxe thaï… »
En mars 2023, il partage cette expérience de mieux-être en fondant la Maison Manpai à Bordeaux. » Un lieu, dit-il, conçu comme une maison : il comporte une salle de convivialité et des lieux de pratique. C’est un endroit où l’on se sent accueilli, on y est bien. La dynamique de l’équipe est celle d’une harmonisation et d’un alignement autour de la reconnexion à soi dans le contexte actuel qui peut être anxiogène ». On y propose du karaté conscient, du yoga, du Pilates et des soins de bien-être (massages et dream machine3). « Le tout, ajoute Jean Bercy, dans une optique de partage. Nous avons d’ailleurs une petite bibliothèque solidaire avec l’idée d’animer des débats autour des livres à emprunter. »
En entrant dans la Maison Manpai, on comprend que le lieu est fidèle à l’engagement de Jean Bercy. La maison est simple et chaleureuse, alors oui : on s’y s’en bien, il doit être possible d’y déployer une présence authentique.
Deux parcours, deux contextes et un constat : peu importe le domaine, l’activité concernée, tout est question d’intention, de connaissance de soi puis d’engagement.
1 La Maison Manpai : https://manpai.fr
2 Équation comportementale : stimuli // cognition //Affects //Actions //conséquences
3 Dream machine : Appareil d’autohypnose crée par Kevin Finel et Brice Battung en 2019
Encadré
État corporel
Il s’agit d’une grille d’analyse simple. Les variables en présence, à travers leurs fonctions et interactions, produisent des cercles vicieux (cercle de réactivité et de lutte sans fin) et des cercles vertueux (respiration, espace, conscientisation, fin de lutte, accueil émotionnel, action engagée et habile). On travaille ainsi sur les automatismes et conditionnement en jeu et les mécanismes psychocorporels en jeu.