Le blé en ville

Des blés anciens, comme le Rouge de Bordeaux, photo Terre de Beaulieu

 

En plein cœur de Bordeaux, installation, unique en son genre et improbable, d’un paysan-boulanger.

 

Par Dominique Galopin

 

À cinquante ans, deux néoruraux venus de Paris, tentent le tout pour le tout : poser leurs valises d’ingénieurs en informatique et télécommunications pour se dédier entièrement à leur passion du bien-manger. Angélique et son mari Jean-Christophe Lavillette ont donc expérimenté une reconversion toute en douceur sans rupture ni chaos. L’acquisition d’une résidence secondaire en Dordogne sera le déclencheur de leur nouvelle vocation : devenir paysan-boulanger. Comme une perfusion lente, Angélique explique qu’ils ont « compris que l’heure était venue de nous confronter à notre passion du bien-manger, certainement notre dernier projet professionnel ».

« C’est une évolution que nous avons vécue comme coule la rivière. N’ayant pas de rejet de notre vie antérieure, nous avions tout le souffle nécessaire pour construire et développer notre activité ultime de paysan-boulanger ». Les terres agricoles qui cernent la demeure nourrirent leur projet. Puis le temps sera le maître…D’abord ne rien faire, laisser se reposer les champs puis semer de la luzerne pour régénérer la vie sous terre, tout en plantant plus de 25 kilomètres de haies afin de ramener de la biodiversité. « L’ensemble de ces actions est de préparer la terre à la permaculture ». Nous sommes en 2017.

 

Longue fermentation

Toute une famille de blés anciens lève alors ses épis, la Bladette de Puy-Laurens, Le Barbu du Roussillon, la Saississette de Provence, le Rouge de Roc ainsi que le Rouge de Bordeaux qui doivent leur nom à la couleur rougeoyante de leurs brins mûrs. « Les blés anciens sont des blés jamais hybridés, avec un réseau de gluten très faible. Leur rendement est également faible. Il faut attendre une récolte d’une tonne et demie par hectare, contre quatre à cinq tonnes en culture bio et même douze tonnes à l’hectare en agriculture classique ». Le blé avec peu de gluten rend complexe la confection du pain. La fermentation est beaucoup plus longue et il faut avoir goûté le croissant qui pousse pendant trente heures pour mesurer l’incroyable différence. D’ailleurs Le Monde l’a classé parmi les quinze meilleurs croissants de France !

 

Ode aux blés blonds

Quand le blé est levé, les céréales triées, il faut encore créer un moulin sur place, et puis bien plus loin la boulangerie. L’idée forte du couple est « d’apporter les champs en ville ». Comme autrefois la boulangerie derrière l’église, les Bordelais ont vu s’ouvrir, en 2022, une petite boutique située en plein cœur de la ville, montrant une vitrine vert sauge sur laquelle apparait, en fin lettrage, la mention de paysan-boulanger. L’intérieur est une ode aux blés blonds. Tout parait si ancien alors que tout est neuf, fait de récupération. Les tomettes en terre cuite vieillissent le sol, le comptoir en pisé de terre crue semble avoir toujours été là. Les murs à la chaux ne surprennent pas mais le remarquable faux plafond en résilles de chêne et de canisses laisse deviner un esprit moderne et esthétique, rappelé par la grande fresque sur le mur du fond qui montre leurs champs de Dordogne. « Tout ce qui touche le pain est en hêtre », explique Angélique, le meilleur ami des pétrins manuels et du levain se décline aujourd’hui sur toutes les étagères. « Tout ce qui ne touche pas le pain est en chêne », ce bois solide qui peut vivre pendant 500 ans et qui orne le logo de Terre de Beaulieu. En 2024, l’Institut du goût de Nouvelle Aquitaine leur a attribué son Goût de cœur.

 

 

Terre de Beaulieu 11 rue Duffour-Dubergier 33000 Bordeaux

Angélique, sur le pas de la porte de la boulangerie, photo D.Sherwin-White