La fabrique des mots

La tour de babel peinte par Pieter Bruegel l'Ancien en 1563 ( collection Musée d'histoire de l'art de Vienne
Dans un monde où les mots et les expressions changent constamment, il est intéressant de se pencher sur les néologismes qui façonnent notre langage quotidien.
Par Jean Malbot
Qui est in ? Qui est out ? chantait Serge Gainsbourg en 1966. Éternelle et difficile question dont la réponse évolue sans arrêt : qu'est-ce qui est à la mode et qu'est-ce qui ne l'est plus ?
Un des plus beaux surgissements de ces mots dans l’air du temps, nous le devons à Ségolene Royal en 2007.
Alors qu'elle se trouvait en Chine, sur la Grande muraille, elle a utilisé le terme de bravitude qui, bien que déjà existant, était très peu connu. Son utilisation a suscité des sourires ironiques et a fait le tour de France. La question demeure : était-ce un lapsus ou une tentative de créer un néologisme ? Quoi qu'il en soit, il a fait florès, reflétant peut-être une certaine malveillance de la part du public. Quelques exemples de ces évolutions.
Des jargons
Dans le domaine des techniques et particulièrement de l'informatique, les néologismes se multiplient, souvent dérivés de l'anglais. Des termes comme blog, data, e-mail, geek, hashtag, hacker, mailing, cookies sont désormais courants. Parmi ses multiples spécialités, le coach remplace le directeur de conscience. Ces mots suivent une logique liée aux nouvelles technologies et sont souvent considérés comme intuitifs, même si leur compréhension peut être obscure pour les non-initiés. Il en est de même pour la médecine qui n’a jamais été avare de néologisme. Il est vrai qu'il a fallu accompagner les multiples innovations de ces dernières décennies : scanner, IRM, endoscopies diverses etc…Le diagnostic y gagne en précision mais quid de la poésie ? Le jargon médical, accompagné par la regrettable habitude des médecins d’écrire de façon illisible, permettait de garder un certain mystère autour de l’ordonnance et au praticien de préserver un rôle de thaumaturge. Hélas, les prescriptions sont désormais le plus souvent imprimées !
Langue des banlieues
Un autre type de néologismes se trouve dans le langage des banlieues qui mélange l'argot français, le verlan, l'arabe, l'anglais et les langues vernaculaires d'Afrique subsaharienne. Ce langage, peu soumis à la grammaire, est souvent hermétique pour les non-pratiquants, créant ainsi un univers linguistique distinct : keuf pour policier, meuf pour femme, keum pour homme, OKLM pour au calme, tèce pour cité, wesh pour se saluer, kiffer pour aimer etc. La liste est presque infinie.
Tics de langage
Les néologismes les plus utilisés, très in dans la vie quotidienne, incluent des expressions devenues endémiques comme du coup au lieu de par conséquent, pas de soucis au lieu de pas de problèmes. Un homme politique n’est plus capable de faire quelque chose il est en capacité de le faire, on ne raconte plus une histoire, on en fait le narratif, au final pour au bout du compte. On parle aussi de personnes non binaires et de prendre un selfie en mode vacances. Dans le domaine politique et social, des termes comme faire lien, vivre ensemble et attitude citoyenne sont devenus courants. De nom commun, le citoyen devient adjectif, sans parler des territoires ou des quartiers. Ce sont des tics de langage envahissants.
Ces néologismes, bien qu'ils ne semblent apporter que peu de nouveautés sémantiques, reflètent l'évolution naturelle d'une langue. Ils peuvent offrir fantaisie, précision et humour tout en créant parfois des barrières entre les générations, surtout vis-à-vis des seniors. Comme le langage d'Ésope, ils peuvent être à la fois des facteurs d'intégration et de ségrégation, mais en fin de compte, leur abondance est un signe de la dynamique et de la créativité du langage humain.
Et en même temps ne risquent-ils pas d'entraîner une babelisation des sociétés ?