Entre clairières et ténèbres

Anne-Marie Vernay, conteuse passionnée

 

Espace de mystères, de dangers et de métamorphoses la forêt dans les contes nous révèle les peurs ancestrales de l’humanité et ses aspirations les plus profondes.

 

À la fois fascinante et inquiétante, lieu de légendes, de secrets mystérieux, de rencontres magiques avec des êtres bienveillants ou funestes, la forêt nous confronte à l’inconnu, l’épreuve initiatique. Tour à tour refuge ou lieu de péril et d’égarement, elle reste le symbole du lien puissant entre l’homme et la nature.

Anne Marie Vernay1, conteuse, est depuis sa plus tendre enfance, passionnée d’histoires, d’inconnu et d’aventure. Psychologue de formation, elle a fait du conte un outil thérapeutique auprès d’enfants en difficultés.

Pour elle, si la forêt des contes représente un espace mystérieux, souvent effrayant, il est aussi porteur de découvertes et de transformations.

 

L’observatoire : Pourquoi les forêts ou les bois ont-ils servi de décors à de nombreux récits ?

— Anne Marie Vernay : Les forêts ont toujours été vitales, nourricières et guérisseuses pour les hommes. Ils ont souvent survécu grâce aux ressources qu’elle leur offrait : châtaignes, glands, champignons, noix, noisettes. Ils se chauffaient et cuisaient leurs aliments grâce aux bois des forêts, buvaient l’eau de la fontaine, source de vie. Enfin les forêts étaient des lieux de protection où l’on on se cachait des envahisseurs. Les seigneurs y chassaient et les paysans y braconnaient. On rencontre dans les contes autant de sorcières que de bonnes fées, de valeureux héros que de bannis. C’est le lieu magique par excellence qui permet toutes les découvertes et favorise la connaissance de soi-même.

Dans tous les contes du monde, notamment en Russie ou en Afrique, la forêt est essentielle à la vie.

 

— Quels éléments symboliques la forêt évoque-t-elle dans les contes ? 

La signification symbolique est ambiguë, à la fois synonyme d’angoisse ou de sérénité. La forêt est le lien entre la terre et le ciel. Dans de nombreuses cultures, les arbres sont considérés comme des êtres vivants. Ils semblent mourir en hiver mais renaissent au printemps. La forêt est une matrice. Elle incarne la résurgence, la vie qui crée autant qu’elle détruit.

Symbole de l’inconnu et de l’aventure, elle résiste à tous les dangers et renaît de ses cendres.

En Afrique, on raconte que lorsqu’un arbre meurt, son âme s’en va sur un autre arbre.

 

— Pourquoi représente-t-elle souvent un univers hostile sauvage, peuplé de créatures menaçantes ? 

Si la forêt protège nous y trouvons aussi le loup en Europe, le lion en Afrique. Elle symbolise l’inconscient collectif tel que le décrit Yung, psychanalyste suisse C’est un espace obscur, inconnu, impénétrable, dans lequel la lumière pénètre difficilement dont on pourrait ne pas sortir Elle exprime à la fois le conscient et l’inconscient, la part de lumière et d’ombre que chaque humain porte en lui.

La caverne, la grotte, le labyrinthe sont autant de lieux où habitent des monstres indomptables, des esprits malins, feux follets, trolls, fées, elfes, gnomes, nains ou dieux inconnus.

Ainsi, la forêt a longtemps été le lieu de rituels religieux. Pour les druides qui y vivaient, elle représentait un espace sacré.

Un conte africain nous parle d’un arbre dont la moitié des branches est nourricière et l’autre partie mortelle, empoisonnée mais on ne sait pas les différencier. Un homme se risque à goûter et il tombe sur un bon fruit. On coupe donc la mauvaise partie. Mais l’arbre meurt.

La forêt ne vit que dans cette dualité d’obscurité et de lumière.

 

— En quoi joue-t-elle un rôle essentiel dans les contes et légendes populaires ?

Les contes existent depuis la nuit des temps. La forêt a toujours été là avec ses fonctions vitales, ses bons et ses mauvais génies. Elle permet aux personnages d'évoluer, de se confronter à eux-mêmes et de trouver leur propre voie. C’est un lieu de régénération, de ressourcement et de progrès. Un lieu où le surnaturel a toute sa place. Les arbres ont un rôle magique : témoins silencieux, gardiens de secrets ou porteurs de pouvoirs. En Afrique certains arbres sont sacrés et représentent une puissance surnaturelle.

La flore et la faune sont alliées ou ennemies, par exemple les oiseaux aidant Cendrillon ou le loup menaçant dans plusieurs récits.

 

— Pourquoi la forêt n’est-elle qu’un lieu de passage ?

Même si les animaux, les personnages diffèrent d’un pays à l’autre, la structure de l’histoire demeure la même. La forêt reste un lieu de métamorphose et de rite de passage. On la décrit souvent, noire, sombre profonde avec ses ronces, ses taillis, ses bois touffus. On y perd ses repères, le sens de sa quête, parfois de sa vie. C’est aussi un espace d’initiations, d’épreuves. On n’en ressort jamais comme on y est entré. On est transformé. Souvent du fait des rencontres que l’on y fait. C’est comme un rite d’initiation à huis clos. On n’habite pas dans la forêt. On y passe seulement. Souvent les contes débutent par la phrase « dans une petite maison au bord de la forêt ». En effet si la forêt est nourricière, elle est dangereuse et l’on ne va pas rester au milieu du danger. On garde une échappatoire. On y conjugue peur et rassurance.

 

— Est-ce une façon d’appréhender la relation entretenue par les hommes avec la forêt ?

Oui, Dominique Fourcade, un poète français contemporain écrit : « Dans une forêt profonde il n’y a pas de ciel, pas d’horizon, pas de ligne droite, mais il n’y a que du très proche. »

C’est un double mouvement de danger et de ressourcement. Le rôle à la fois hostile et protecteur de la forêt dans les contes reflète l’ambivalence de la relation de l’homme à la nature : fascination et crainte. La forêt épaisse et profonde cache des secrets, l’horreur sacrée, le mystère, le silence et les voix. Attaquée, blessée, brulée, refoulée, elle est toujours là, primitive et puissante, familière et inquiétante. Dans l’Antiquité, Platon parlait déjà de l’âme des arbres, de leur faculté de pensée. Et pour Socrate, abattre un arbre était un homicide. Notre société actuelle appréhende davantage la forêt au travers du ressenti plutôt que du visuel. La forêt était un monde étranger, inaccessible terrifiant. Elle est devenue un espace paisible de recréation, un poumon vert. Elle incarne la lutte pour la vie

 

1 Conteuse pour l’association girondine Calicontes, créée en 1996, avec pour objectif le développement d'actions culturelles autour du conte pour l’association de Gradignan, Mieux Vivre à Malartic et pour l’atelier Contes d’ici et d’ailleurs de l’OAREIL

 

 

Les arbres murmurent des histoires (photo A.M. Vernay