
Edito
Ce peut être un frémissement mauriacien ; celui du murmure du vent dans les pins maritimes. Ou le délicieux frisson de la peur dans les pas du petit Poucet et de sa fratrie. Ou bien encore cette pensée, exotique, d’enchevêtrement de lianes au cœur d’une Amazonie fantasmée… L’idée de forêt est invitante, elle transcende la réalité brute pour ouvrir d’infinis espaces à l’imaginaire. À bien y penser, celui-ci en est nourri plus que de raison, du « son du cor, le soir, au fond des bois » au flamboiement des ors de l’automne ; de l’épaisse densité de la canopée au parfum des girolles sur la terre mouillée…
De Gaulle, lui-même, comparé par Malraux à un chêne, respirait de la vue de la « vieille forêt gauloise » depuis son repaire de la Boisserie. Des peintres, Claude Monet, Auguste Renoir ; des littérateurs, Jean de La Fontaine, les frères Grimm avec Hansel et Gretel, Châteaubriand, « Forêt silencieuse, aimable solitude » ; des réalisateurs, James Cameron avec Avatar ; des bédéistes d’Oger Vincent Perez dans La forêt de Tiburce à Goscinny Uderzo et Astérix ; des poètes, ainsi Victor Hugo, Aux Arbres, Les feuilles d’automne, Musset, Nuit d’août mais aussi Mallarmé, Rimbaud, Apollinaire, Brassens, ils sont légion à avoir trouvé l’inspiration entre bouquets d’arbres et halliers.
Et pour ce qui nous concerne, citoyens de la vie quotidienne ? L’agglomération de Bordeaux a cette chance de se situer à l’orée des bois. Elle est sans doute la seule métropole de l’hexagone à presque en faire partie. Et il est vrai que la marée aux parfums de résine vient comme qui dirait lécher les confins de l’agglomération. La rive orientale de l’immense forêt des Landes touche Mérignac, Le Haillan, Saint-Médard-en-Jalles, autant de communes où poussent les pins annonciateurs de la marée verte. La forêt garde ainsi quelques portes de la capitale aquitaine même si celle-ci semble l’ignorer. En dehors de la traverser pour aller au Ferret, à Lacanau ou sur les plages du Médoc, ses habitants oublient facilement l’existence de ce poumon vert, hélas inflammable mais qui offre puits de carbone pour l’écologie et abondance d’ions négatifs pour sa légendaire modération des mœurs et des idées qu’annonçaient Montaigne et Montesquieu.
Et voilà que, dérèglement climatique oblige, pour suivre les consignes d’Alphonse Allais, Bordeaux, ville minérale repensée au XVIIIe siècle, importe, à travers plantation d’arbres, semis de micro-bois, et politique de végétalisation des rues, le concept de campagne/forêt à la ville. Une tentative d’apprivoiser la fraîcheur pour éviter l’enchaînement des nuits de canicule. Mais, à Bordeaux ou ailleurs, qu’on le veuille ou non, les bois, les forêts, les arbres nous accompagnent. Devenir parent, c’est faire souche. Écouter Maxime Le Forestier, lire Louis-René des Forêts, croiser un camion frigo Petit Forestier, pousser la porte de Laforêt immobilier, voir un film avec Sara Forestier, nous rappellent cette proximité qui, à travers les noms propres, montre cet enracinement social et culturel.
Mais le bonheur d’entendre grésiller un feu dans la cheminée et de s’y réchauffer en cuisant des châtaignes reste sans doute un chaînon qui nous relie à notre passé commun d’habitants des fourrés, quand bien même nos ancêtres les Gaulois eussent été plus urbains qu’on ne le croie. Le chant du bois qui brûle au rythme de ses crépitements est autant une complainte qu’un cri de joie. À l’heure où le printemps s’approche, les dernières bûches entassées près de l’âtre constituent les derniers signaux de l’importance de l’arbre, et, donc, de la forêt, dans notre imaginaire.
Jean-Paul Taillardas