Du cinéma au pétrin

 

David Bouttin menait une vie de cinéaste riche en perspectives professionnelles quand, en 2018, il revient aux sources de la vie en devenant boulanger.

Par Bernard Diot

 

Dans un village perdu dans le Trièves (Isère), David accueille trois fois par semaine dans son fournil, les clients qui viennent chercher leur commande. Dès l’entrée, une odeur du pain encore tiède sorti du four vous chatouille les narines. Le pétrin et le four sont les témoins de ces moments riches en échanges où il aime expliquer son cheminement. Face à la prise de conscience que la société allait en déliquescence, il a préféré quitter le monde du cinéma pour devenir boulanger.

 

Devenir réalisateur

David a suivi ses études à Martigues. Le lycée qu’il fréquente offre un panel d’options permettant d’envisager de travailler dans l’industrie. Cette voie ne l’intéresse pas. Il adore le cinéma et il se rend compte qu’il est possible d’apprendre le cinéma en province et de devenir réalisateur. Un DESS d’écriture cinématographique lui permet, entre 1997 et 2005, d’exercer une carrière de régisseur et en parallèle de réaliser des courts métrages. En 2005, il devient réalisateur pour FR3 Marseille. À ce titre, il réalise pendant trois-quatre ans des épisodes de Plus belle la vie.

En 2018, la réalisation d’un court métrage sur les travailleurs précaires, Boomerang, lui ouvre la possibilité de mener son premier long métrage, dont il commence l’écriture, sur l’exploitation des travailleurs saisonniers.

 

Le rapport du GIEC et la démission de Nicolas Hulot en tant que ministre de l'Écologie lui font dire : « Le monde ne tourne pas rond, ma vie est factice, je passe à côté de quelque chose, je suis un privilégié qui se sert des autres pour assurer son train de vie et, par ma consommation, je détruis la nature. »

Prise de conscience

Pour lui, ce projet ne présente plus d’intérêt, car il estime que ce qu’il fait ne sert à rien. Il prend pour exemple Ken Loach qui écrit des films engagés. « Ils sont vus par des personnes convaincues et n’intéressent qu’une infime minorité. Nous avons l’impression d’être utile, mais en fait nous faisons de l’entre-soi. »

Le rouleau compresseur de la société de confort fait, pense-t-il qu’elle s’indigne et qu’elle oublie aussitôt. Une indignation en pousse une autre. Il reprend une anecdote vécue au festival de Cannes où il a assisté à la projection d’un documentaire sur les réfugiés iraniens en Grèce, suivie d’un débat, tout cela clôturé par un cocktail au… champagne. Il évoque aussi les conversations outrées sur le travail forcé des petits Chinois qui fabriquent des tee-shirts qui seront achetés trois jours plus tard par les mêmes convives.

Cette prise de conscience l’amène à s’intéresser à la collapsologie. Il est convaincu que notre société va connaître une crise énergétique et matérielle qui va la conduire à une décroissance choisie ou à un effondrement subi. Devant ce constat, il décide de s’installer dans le petit village de son épouse, et la rencontre d’un paysan boulanger lui fait découvrir le plaisir du travail du pain. Il passe son C.A.P et s’installe.

 

Être indépendant

Il est persuadé qu’il faut anticiper le jour où nous disposerons de moins d’énergies fossiles ou qu'elles seront devenues trop chères. Son fournil se veut autonome : un pétrin à main et un four chauffé au bois. Plus tard, il utilisera le blé cultivé localement et ramassé à la main. Il sera transformé en farine avec un moulin mécanique ou alimenté par des panneaux solaires, voire avec un moulin hydraulique actuellement en déshérence.

« Il n’y a aucune volonté de ma part de revenir à un état préindustriel, c’est un constat que nous sommes dépendants de choses que nous ne maîtrisons pas. Nous pouvons diminuer notre impact sachant que nous ne pouvons pas l’éliminer complètement. »

Il est interrompu par une livraison de farine ; il faut déjà penser à la prochaine fournée de pain pour ses clients qui ont bien retenu le rythme de trois fois par semaine.