Volare...Haut,Haut

La haute voltige oblige à dépasser sa peur pour en faire quelque chose de beau
Monique Etchebeheîty
Accrochée à la barre, Cécile prend son élan dans un mouvement de balancier de plus en plus ample puis elle s’envole, le corps arc bouté, suspendu dans l’air, en apesanteur. On retient son souffle, une seconde, deux secondes, peut-être plus, le temps ne se mesure pas comme en bas. Il la rattrape, leurs mains se rejoignent, soudées, solides, une seconde, deux secondes, puis elle s’envole à nouveau.
Passionnée par le cirque et le mouvement depuis son enfance, Cécile Cinelli a créé en 2015 avec Dianys Montavy la compagnie Crazy.R, pôle de voltige aérienne dont l’activité s’articule autour de deux axes : l’enseignement et la création de spectacles. Depuis 2023, la compagnie est installée dans la Cité bleue, ancienne raffinerie de sucre, au sein du quartier de Bacalan à Bordeaux.
— L’Observatoire : Comment êtes-vous venue à la haute voltige ?
— Cécile Cinelli : J’ai fait beaucoup de danse classique et jazz et, comme j’avais envie de voyager à la fin de mes études, je suis entrée au Club Méditerranée comme chorégraphe. C’est dans un village marocain qui programmait des spectacles de cirque que j’ai découvert le trapèze. J’ai eu immédiatement le coup de foudre. On m’a alors proposé une formation de six mois dans cette discipline. Lorsque j’ai rencontré Dianys Montavy, animateur dans un des clubs et, coïncidence, Bordelais comme moi, nous avons décidé de créer notre compagnie.
— Quel était le projet à l’origine ?
— Nous voulions faire découvrir la voltige aérienne et la rendre accessible au plus grand nombre. Au départ, on travaillait sur un trapèze grand volant1 en extérieur mais on était tributaire de la météo. L’installation en intérieur nous a permis de diversifier nos activités. Une soixantaine de pratiquants à l’année participent à nos cours et à nos stages ouverts à tous à partir de huit ans. Nous faisons également de la médiation auprès de jeunes en difficulté dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse. Le but est de leur permettre de jouer avec leurs limites, de faire l’apprentissage du lâcher prise et de prendre confiance en eux dans un cadre atypique. Ce n’est pas courant de se balancer dans les airs.
— À quoi pensez-vous quand vous êtes là-haut ?
— Avant une voltige, quand on a la barre entre les mains, on ne pense qu’à l’objectif, rattraper ou être rattrapée, sachant que le capital risque est important. En général, c’est rare que je sois tout sourire tellement je suis concentrée sur ma voltige. C’est difficile à expliquer, je prends du recul, de la hauteur dans tous les sens du terme et en même temps, j’ai une conscience exacerbée de l’instant présent. Mes émotions sont démultipliées, tout est extrêmement fort. Il se crée une espèce de communauté avec les autres artistes et le public. Cette part de collectif associée au risque est hyper enrichissante. Ça me prend aux tripes.
— Comment se construit la confiance entre partenaires ?
— Elle s’établit au fur et à mesure de la pratique. Quand on travaille ensemble, on se connaît, on sait comment on réagit et on prend un risque en commun, c’est ce qui est très beau. Le passage par les mains pour se rattraper ou être rattrapé est essentiel dans sa construction autant du point de vue physique que symbolique. Qu’on soit porteur ou voltigeur, c’est une responsabilité et si la confiance se perd, cela se ressent dans la voltige. La question est alors de savoir si on continue ou pas.
— La sécurité liée à la structure vous préoccupe-t-elle ?
— C’est le sujet ! La première chose à laquelle va penser le voltigeur, c’est à sa sécurité d’autant plus que les évolutions techniques et acrobatiques induisent des modifications constantes dans la législation concernant nos pratiques. Dianys Montavy, qui n’est plus sur le plateau à la suite d’une blessure, réalise toutes nos structures sur mesure, de la simple barre de voltige à des installations de plus de dix mètres de haut en prenant en compte ces contraintes et les volontés artistiques.
— Vous arrive-t-il d’avoir peur ?
— Oui, toujours. Dans ma pratique individuelle, j’ai toujours peur. Ça fait dix ans que je travaille là-dessus. Mais c’est ça aussi le trapèze volant, c’est dépasser cette peur pour en faire quelque chose de beau. La première fois que je me suis lancée dans les airs, j’étais accompagnée comme on accompagne nos élèves. J’avais une ceinture de sécurité, on me tenait en longe2 mais je tremblais. J’ai hurlé quand je me suis lancée mais quand je suis descendue j’ai fait wouah ! ! C’était tellement bien.
— Comment se passe le retour sur terre après de telles montées d’adrénaline ?
— Quand on vit des moments aussi intenses, c’est difficile de se dire que ça s’arrête à la fin d’une tournée mais c’est la vie du spectacle vivant. On a l’avantage d’avoir nos élèves, de pouvoir leur transmettre notre passion, c’est ce qui continue de nous porter. Quand on prépare avec eux leur spectacle de fin d’année on retrouve le plaisir de construire un projet commun. On stresse avec eux avant la représentation mais c’est tellement agréable de constater ce que ça leur apporte, l’espèce d’euphorie qui s’ensuit.
— Y a-t-il une hygiène de vie particulière à respecter pour durer ?
— Comme tous les sportifs de haut niveau, on doit avoir une alimentation saine et prendre le temps de récupérer et de se soigner pour toujours maintenir le niveau physique attendu. En ce moment, je fais des séances de kiné car j’ai de gros problèmes aux épaules. C’est ennuyeux pour une trapéziste. Les voltigeurs ont des problèmes d’épaules et les porteurs, de genoux. Certains artistes arrêtent rapidement leur carrière, d’autres continuent jusqu’à quarante-cinq, cinquante ans. Moi j’ai trente-six ans ; si j’arrive à tenir encore quatre à cinq ans c’est bien.
1 Il existe deux hauteurs de travail pour le trapèze volant : le grand volant s’élève entre neuf et quinze mètres et nécessite la présence d’un filet. Le mini volant est situé à quatre et cinq mètres avec des tapis au sol pour la réception.
2 La longe est un équipement de protection individuelle constitué d'une ou plusieurs cordes, accrochées à une ceinture de sécurité à une extrémité et maintenue par une personne à l’autre extrémité.
Encadré
Les spectacles : Après Vis dans le vide en 2022, la compagnie a créé DROP en 2023, une commande de l’OARA (Office artistique de la région Nouvelle Aquitaine) dans le cadre d’un partenariat sport-culture pour la coupe du monde de rugby. « Nous avons pour l’occasion, explique Cécile, une structure atypique de treize mètres de haut. Pour suggérer l’ambiance d’un match, nous avons travaillé sur des voltiges spécifiques, mis en scène une mêlée et intégré les commentaires d’un présentateur sportif dans la bande-son. C’est le ballon que nous avons eu le plus de mal à maîtriser ! » Ce spectacle mobilise onze artistes au plateau et quatre techniciens pour les montages-démontages. La compagnie prépare actuellement une tournée à l’étranger en commençant par un festival international de théâtre en Roumanie. La dernière création L’Air d’Après est une forme plus légère sur mini-volant.