Pas sans plaisir

Anne Kettaneh, sa fille, les deux gèrent la boutique Les Belles Grappes,  située à Saint Christolly au centre de Bordeaux. photo D.Sherwin-White

Dans la capitale des grands crus, une boutique ose proposer des boissons sans alcool.

Interview de de Sylvie Lacombe

 

0 % alcool, 100 % plaisir, cette inscription sur la vitrine d’une boutique, dès l’entrée du centre commercial Saint-Christoly à Bordeaux, attire l’œil. L’enseigne Belles Grappes° est ouverte depuis les premiers jours de novembre 2024.

Il y a une dizaine d’années, cette création serait passée pour une provocation dans la capitale du vin mais aujourd’hui, elle pallie un manque du fait de la tendance no/low, cet engouement pour les boissons désalcoolisées : vins, bières, cocktails, spiritueux.

Anne Kettaneh a aménagé cette cave sans alcool avec beaucoup de goût. Elle est lumineuse, avec des rayonnages en bois clair où les références sont classées selon le prisme des accords mets/ vins.

 

L’Observatoire : Pourquoi cette appellation Belles Grappes° ?

— Anne Kettaneh : Des boutiques existent en France avec des enseignes jouant sur des jeux de mots comme « Gueule de joie » ou « Au plaisir des sans ». Cela ne me satisfaisait pas, j’ai voulu une enseigne qui fasse référence à l’agriculture, à la terre et à la paysannerie. Et je tiens particulièrement au signe ° pour marquer le 0 degré d’alcool.

 

— Comment ce projet de boutique est-il né ?

J’ai travaillé pendant 18 ans pour un syndicat agricole dans le domaine des céréales, à défendre les paysans et leurs produits et j’étais déjà en relation avec les vignerons. Par goût, j’ai suivi une formation en œnologie et après une rupture conventionnelle, j’ai réfléchi à un nouveau projet professionnel.

Je souhaitais continuer à défendre les intérêts des viticulteurs en pleine crise de surproduction et d’arrachage des vignes. Grâce à ma rencontre avec certains qui s’étaient déjà engagés avec enthousiasme dans les vins non alcoolisés, j’ai décidé de développer cette branche.

 

— Comment avez-vous trouvé vos fournisseurs ?

Beaucoup de contacts téléphoniques dans un premier temps. J’ai ensuite visité le premier salon Degré 0, à Paris, en février 2024 où j’ai pu rencontrer des professionnels puis le salon du vin à Paris.

Je recherche des vins français et européens, l’Allemagne et l’Autriche sont très avancées dans le domaine des boissons 0°. J’ai commandé également à l’international. J’ai beaucoup goûté et beaucoup jeté.

 

— Qu’est-ce-que la désalcoolisation ?

Un vin sans alcool est un produit élaboré à partir d’un vin dont la teneur en alcool a été éliminée soit par distillation, soit par filtration. Un vin est désigné comme sans alcool dès lors qu’il est en dessous de 0,5 degré alors qu’un vin léger low est en-dessous de 10 degrés.

 

 

La désalcoolisation est une opération lourde qui nécessite du matériel que la quasi totalité des domaines ne possèdent pas. Or jusqu’à il y a peu, il n’existait pas d’unité en France. Les vins étaient envoyés soit en Belgique soit en Allemagne.

Cependant, une plateforme a vu le jour à Sauveterre de Guyenne pour anticiper le développement de la demande du marché. Bordeaux Families (regroupement de familles de vignerons) et B&S Tech (Accompagnement de vignerons) ont pris ce créneau.

 

— Comment décririez-vous votre clientèle depuis ces trois mois d’ouverture ?

Ma clientèle est très hétérogène, j’ai tous les âges, hommes et femmes, des personnes âgées mais c’est peut- être dû au fait d’être en centre-ville fréquenté par des touristes.

 

— Avez-vous perçu l’influence du Dry January ?

Pas vraiment. Mais nous sommes dans le bordelais. Ailleurs, cela a été assez significatif sur les ventes de boissons non alcoolisées.

 

— Comment expliquez-vous cet engouement pour les boissons 0° ?

Des influenceurs, des artistes ont tenu des propos assez cash sur les méfaits de l’alcool, le présentant comme la seule drogue légalisée en France.

Cela fait réfléchir sur les risques et déclenche une prise de conscience. Certaines personnes supportent de moins en moins l’alcool.

Beaucoup viennent au magasin par curiosité découvrir les produits, certains gardent leur certitude et restent non réceptifs. D’autres, comme les femmes enceintes, leurs conjoints, des personnes malades ou sous traitement trouvent ici une alternative au vin. Cela se développe aussi pour les sportifs astreints à un régime strict sans alcool. Et puis beaucoup de personnes souhaitent prendre soin de leur santé.

 

Encadré :

Le concept no/low est venu de Grande Bretagne, et aujourd’hui 29 % des Français consomment ces boissons désalcoolisées. Parmi eux, 45 % ont entre 18 et 25 ans. Le premier salon Degré O à Paris a eu lieu en 2024. En février 2025, le nombre d’exposants a doublé sur le salon ainsi que la présence des professionnels : cavistes, distributeurs, hôtels restaurants.