Le ciel sous contrôle

Dominique Beutis

Chaque jour des milliers d’avions parcourent le ciel en toute fluidité. Cette apparente harmonie cache une partition réglée au millimètre près.

 

Loin d’être un vide, le ciel abrite un réseau aérien complexe, soigneusement organisé en un maillage d’altitudes et de couloirs aériens où chaque déplacement est planifié. Dans l’ombre des tours de contrôle des hommes et des femmes orchestrent cet équilibre fragile. Ils organisent les mouvements des avions, surveillent leurs trajectoires, donnent des instructions aux pilotes, évitent les conflits de distance et de position. 

Si le travail des contrôleurs aériens est invisible, il n’en est pas moins essentiel

Depuis près de vingt-sept ans, Corinne Top exerce avec intérêt et passion son métier d’ingénieur du contrôle de la navigation aérienne (ICNA). Après avoir connu les pistes de Beauvais et d’Orly, elle est aujourd’hui chef de tour à l’aéroport de Mérignac. Pour elle et son équipe, même en situation de stress, le calme doit rester de mise.

 

Précis et réactif

Sixième aéroport de France, premier d’Aquitaine, Bordeaux-Mérignac abrite l'un des cinq Centres en route de la navigation aérienne (CRNA) de France. Le CRNA Sud-Ouest est responsable, dans sa zone de compétence, du contrôle du trafic en croisière. Près de 300 contrôleurs, répartis en 12 équipes, prennent ainsi le relais de la tour lorsque l’avion a quitté l’espace de l’aéroport, au-dessus de 5000 mètres. Ils guident les vols, assurent leur sécurité en altitude, optimisent les trajectoires en s’assurant que les routes aériennes ne se croisent pas.

Dans la tour de contrôle, 48 contrôleurs, soit six équipes de huit, interviennent en vigie et en approche 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ils gèrent toutes les phases critiques du vol au sol et dans l'espace aérien proche.

En haut de la vigie, il faut jongler avec plusieurs paramètres : météo, trafic, communication. Même sous pression, il est impératif de rester précis, réactif et serein.

Le souci constant est de respecter les zones de distance des avions et à l’arrivée, de permettre à chacun de se poser de manière sûre dans les temps impartis, de dégager la piste pour le suivant. « L’idée, résume Corinne c’est d’avoir une cadence, d’aligner les avions les uns derrière les autres et surtout d’éviter qu’ils se percutent ».

 

Étroite coordination

En tour ou en centre, tous jouent un rôle clé pour garantir des vols sûrs et efficaces. La communication entre les différents acteurs est donc essentielle et se fait avec des procédures normalisées et des outils radio et numérique. Chaque note de la partition est clairement posée : transmission du plan de vol, autorisations de départ aux pilotes, informations et relais avec la salle d’approche au-dessus de 600 mètres puis au CRNA jusqu’à l’altitude de croisière atteinte.

Itinéraires, altitudes, croisements, normes d’espacement sont minutieusement réglés, structurés et anticipés.

« Des protocoles, ou lettres d’accord, existent », explique Corinne, « Ces coordinations tacites ne nécessitent pas d’appels directs entre nous. Mais si des avions sont sur la même trajectoire et doivent se croiser, nous activons les lignes téléphoniques sécurisées pour décider du niveau de vol de chacun. »

« Les coordinations sont fréquentes lorsqu’il y a un conflit », précise-t-elle, « Pour autant un conflit n’est pas un problème pour nous, puisque nous sommes justement là pour le résoudre. La coordination vise à décider des actions à mettre en œuvre. »

 

Aucune fausse note

« À Mérignac, l’espace intérieur est suffisamment vaste pour permettre d’y travailler agréablement », précise Corinne. La vigie, partie vitrée à 45 mètres de hauteur, offre une vision à 360°, favorisant une visibilité maximale. Des écrans radars et des ordinateurs sont disposés sur un podium circulaire. Chaque point lumineux représente un avion en vol, suivi par le système de surveillance. Plusieurs positions de contrôle s’y côtoient pour suivre les avions au sol, sur les pistes et la zone d’approche immédiate. Le chef de tour coordonne l’ensemble des informations et les retransmet.

Dans la salle d’approche, au premier étage de la tour, plusieurs positions radars permettent de visualiser l’espace aérien autour de l’aéroport.

Ici, chaque trajet, chaque décision s’intègre dans une partition complexe dont l’expertise et la réactivité garantissent l’harmonie. Une orchestration qui n’autorise aucune fausse note sans risquer le drame ou le chaos.

 

Une journée rythmée

L’aéroport de Mérignac tourne sur 100 000 mouvements par an, soit plus de 270 avions à gérer au jour le jour, comprenant le commercial, le fret, certains vols militaires et le vol de loisir. Mérignac est aussi terrain d’évacuation sanitaire et de transport d’organes. Des hélicoptères font fréquemment de jour ou de nuit des transports inter hôpitaux.

Le quotidien d’un contrôleur aérien nécessite concentration, rigueur et coordination. Chaque journée suit donc un planning précis, alternant périodes de travail intense et pauses obligatoires pour gérer le stress et la fatigue. Lorsque Corinne arrive à la vigie, elle débriefe avec l’équipe précédente pour se mettre à jour sur la situation du trafic, la météo et les événements en cours. Après la mise en place des équipements de travail (casque, micro, écrans), elle assure la répartition des positions de travail en fonction du trafic et de l’effectif, selon une grille dite d’armement. La plupart des positions sont armées à deux contrôleurs : un pour le radar et l’autre pour les coordinations téléphoniques. « Un changement de position se fait toutes les heures, pour limiter l’accoutumance et risquer l’hypovigilance. » dit-elle. Par ailleurs une pause toutes les quatre heures est imposée pour chaque vacation.

 

Le stress est présent

Lorsque le moindre incident peut impacter l’organisation du ciel, chaque décision compte, chaque instruction doit être suffisamment claire pour anticiper et ajuster « L’attention, la réflexion en temps réel sont indispensables. Ce n’est pas un domaine où l’on peut mettre "pause" en se disant, j’attends un peu, j’y verrai plus clair demain. C’est toujours de la gestion en temps réel nécessitant de garder son sang-froid. La gestion d’abord et après l’émotion », explique Corinne.

Le collectif est précieux : « Chacun aide l’autre mais sans interférer ». Les contrôleurs disposent aussi de l’appui d’une subdivision "qualité de service" qui rassemble, analyse tous les événements particuliers et favorise les retours d’expérience. Pour Corinne « le stress est présent, l’humain a ses failles qu’il doit tenter de réduire au maximum mais l’introduction de systèmes avancés, améliorant la sécurité et l’efficacité, aident à la résolution de conflits, à la communication avec les pilotes. » Elle regrette que les avancées technologiques, le développement du trafic aérien et le renforcement des normes de sûreté nuisent à la bonne connaissance des uns et des autres : « au micro maintenant, je parle à des gens que je ne connais pas. Autrefois, il y avait plus de proximité entre la piste et la tour ».

Malgré tout Corinne ne regrette pas son choix professionnel. Aujourd’hui, elle dirait à un jeune intéressé par le métier : « Fonce, vas-y. Ne te prends pas la tête, sois conscient de tes capacités mais surtout reste humble »

 

 

 

 

Encadré : Comment devenir contrôleur aérien ?

Le métier de contrôleur aérien est accessible via un concours sélectif organisé par l’École nationale de l’aviation civile (ENAC).

Conditions d’accès :

·        Être titulaire d’un bac scientifique (fortement recommandé).

·        Suivre deux années de classes préparatoires scientifiques avant de passer le concours ICNA.

 Formation :

·        Après réussite du concours, 3 ans de formation rémunérée à l’ENAC.

·        Alternance entre cours théoriques (réglementation, navigation, météorologie) et pratique en simulateur.

·        Stage en centre de contrôle aérien.

 Débouchés :
Une fois diplômés, les jeunes contrôleurs sont affectés dans une tour de contrôle ou un centre de régulation du trafic aérien.