Belle idée abattue

Les arbres communiqueraient entre eux : cette idée a conquis le monde scientifique, les institutions et le public. Elle est aujourd’hui remise en cause.
par Sylvie Lacombe
Suzanne Simard, biologiste canadienne, publie en 1997, dans la prestigieuse revue Nature, un article mettant en avant un phénomène étonnant d’échanges de ressources entre les arbres, via un réseau souterrain aussitôt baptisé Wood Wide Web. Son équipe, puis plus tard Peter Wohlleben, ingénieur forestier allemand, diffuse cette découverte dans un livre intitulé La vie secrète des arbres et là le mythe s’emballe. En 2015, le livre est un succès planétaire.
Arbre-mère
L’auteur révèle que les filaments souterrains de champignons font le pont entre les arbres et assurent une diffusion rapide des nutriments et d’informations sur les insectes, la sécheresse et sur tout autre danger.
En 2021, Suzanne Simard écrit ses mémoires et renchérit sur cette idée magnifique que la forêt est une communauté intelligente où la coopération règne entre les arbres par l’intermédiaire d’une gigantesque toile fongique souterraine.
Elle avance même le concept d’arbre-mère selon lequel certains arbres transfèreraient une grande quantité de carbone à leur progéniture et aux semis voisins par l’intermédiaire des mycorhizes1.
Pourtant, depuis quelques années, la communauté scientifique s’agace de cet engouement et commence à douter face au peu de preuves. « Les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires » expliquent certains biologistes et écologues.
Stratégie de communication
Certes, les arbres entretiennent des relations avec les champignons, un individu peut partager son système racinaire avec 100 ou 200 espèces différentes. Ce qui est admis également, c’est que l’arbre fixe du carbone grâce à la photosynthèse et en alloue 30 à 70 % aux espèces souterraines. Mais ces éléments sont difficilement mesurables, les partenaires sont trop nombreux : champignons, bactéries, micro-organismes.
Après une enquête approfondie réalisée par plusieurs scientifiques, leurs travaux n’ont pas mis en évidence le Wood Wide Web mais une surinterprétation de l’existence d’un réseau souterrain.
Ces scientifiques dénoncent une stratégie de communication visant à déclencher chez le grand public de l’empathie pour les arbres, à inciter à la protection des forêts et à renforcer le lien entre les hommes et la nature.
Un mythe
Cette théorie de coopération entre les arbres a un impact aujourd’hui sur les interventions en forêt. Certains scientifiques et forestiers comme Peter Wohlleben très influant dans diverses structures (Académie de la forêt en Allemagne, Comité conseil à l’ONU, Parlement Européen) demandent d’arrêter les coupes à blanc, de renoncer aux nouvelles plantations et de laisser à la forêt le soin de se gérer elle-même. Cette vision continue d’influencer des propriétaires forestiers qui hésitent à couper les arbres en considérant leur bien comme une entité capable de s’autogérer.
Les risques encourus, selon d'autres acteurs, du fait de cette politique de gestion des forêts, c’est d’endommager les écosystèmes à protéger en s’appuyant sur des recherches non concluantes. Dans nos forêts, cela risque d'entraîner une stagnation de la croissance des arbres, une faible diversité et un habitat limité, une sensibilité accrue aux insectes et plus de mortalité liée à la sécheresse et au climat.
Or aujourd’hui, au contraire, il faut rendre les forêts plus fortes face au changement climatique et l’intervention de l’homme est indispensable.
Cette communication bienveillante entre les arbres, relayée sur le plan mondial est affaiblie aujourd’hui par des recherches poussées. Mais l'idée reste belle et le mythe perdure.
1Mycorhyze : champignon associé par symbiose aux racines d'un végétal.

Phénomène étonnant d'échanges entre les arbres. (Wood wid Web)