Les arbres, tout un monde
Jean Touyarou nous fait voyager au cœur de la symbolique et des conceptions mythologiques de l’arbre que les époques et les peuples lui ont conférées. Son tour d’horizon nous enjoint à y associer une réflexion sur l’avenir des arbres, sensibles et fragiles, à notre image
Comment expliquer le fait que couper un arbre émeut tant le genre humain ? Cette question taraude et interroge Jean Touyarou, ancien ingénieur forestier du Centre national de la propriété forestière de Nouvelle-Aquitaine. Il la pose et repose au cours de ses activités de conférencier et d’animateur qui l’occupent depuis sa retraite. « Partout, constate-t-il, chacun de nous possède un lien avec un arbre en particulier, qui rend celui-ci sacré ; et la simple idée de le voir disparaître est douloureuse ». Aussitôt, l’ingénieur auparavant chargé de la gestion durable des forêts privées reprend cette formule, empreinte de sagesse et qui met en avant l’exigence du côté pluriel de l’arbre : « Personne n’est propriétaire de la forêt ». Coupes, reboisements, éclaircissements ou coupes rases ? Dans son ancien métier, pour décider du devenir des arbres pourtant détenus par un seul propriétaire forestier, les décisions collégiales sont de mise.
De même, dans la mémoire collective, une représentation noble de l’arbre imprègne nos cultures, en dépit des conceptions qui jalonnent les lieux et les époques. L’engouement occidental pour les arbres et les forêts, leur intelligence ou leur pouvoir curatif, à l’instar du shinrin-yoku (le bain de forêt japonais), en est une manifestation moderne.
Sacre intemporel
L’arbre absorbe et fournit les quatre éléments naturels : la terre, l’eau, l’air (la photosynthèse) et le feu (le bois brûlé). Son cycle nourricier et son caractère saisonnier sont des signes de renaissance, d’immortalité. Sa verticalité symbolise l’union du ciel et de la terre, le lien entre les vivants et les morts : ne retrouve-t-on pas ainsi des arbres proches des cimetières, des églises, des temples ou autres lieux de cultes ? Ils sont loués en tous lieux et en tout temps pour leur connaissance, leur longévité. Chez tous les peuples et dans toutes les religions, une représentation symbolique de l’arbre-monde, archétype cosmogonique, existe.
La cosmogonie, du grec ancien cosmos (monde) et gonos (procréation) est entendue ici comme le récit mythique, symbolique, de l’origine du monde. Yggdrasil, frêne ou if à trois racines pour la mythologie nordique, relie les trois mondes, céleste, terrestre et souterrain. Le banian ou arbre de Bodhi est celui de la sagesse, signe de l’éveil et de l’illumination chez les Bouddhistes. Ou encore Tooba, arbre de vie pour l’Islam et le Ginkgo Biloba au Japon, sont, tous les deux, signes d’immortalité. Et le conférencier de souligner le petit clin d’œil de l’histoire de ce dernier, seul arbre qui résistera à Hiroshima… Le caractère sacré de l’arbre se retrouve aussi en Afrique dans le baobab, symbole de force et de puissance, ou en Nouvelle-Zélande avec le kauri, conifère des forêts primaires. Tāne Mahuta, le seigneur de la forêt de 1 250 à 2 500 ans, qui abrite les ancêtres, atteint les 50 mètres de hauteur et pas moins de 14 mètres de circonférence !
Avenir nmenacé
Jean Touyarou rappelle quelques images d’arbres transformées en nobles symboles par l’homme dans l’histoire occidentale. On pensera à la légende de Saint-Louis qui rend justice au pied d’un chêne, ou encore à celui de Guernica, sauvé du bombardement des troupes franquistes et devenu emblème de la résistance et de la liberté des Basques. Mais les arbres ne sont pas toujours vus sous cet œil. Les chrétiens combattront la dendrôlatrie, culte païen qui conférait à l’arbre des pouvoirs de guérison, comme en témoigne la tradition de l’arbre à loques, sur lequel linges et autres objets, destinés à amener la protection des malades, sont accrochés aux branches. On coupe les arbres vénérés pour les remplacer par des croix ou l’on construit en leur sein - les troncs - des chapelles.
La représentation la plus ancienne connue de l’arbre date de 3500 av. J.-C. : c’est le palmier-dattier du Tassili, arbre de vie nourricier. Selon une ancienne symbolique méditerranéenne, il représente la victoire ou le triomphe sur la mort. En tant que ressource naturelle renouvelable du Sahara, il est toujours aujourd’hui un symbole de fertilité et de prospérité des cultures sahariennes et présahariennes. Or, son avenir est menacé par l’exploitation des hydrocarbures fossiles dans la région[1]. Autre illustration médiatisée, même si la déforestation a faibli en 2024 au Brésil, cette même année a été marquée par des records des feux de forêts en Amazonie, dont près de 98 % sont d’origine humaine, comme le rappelle le climatologue Carlos Nobre, membre du GIEC [2], prix Nobel de la paix en 2007.
Une des idées chères à Jean Giono était de « faire aimer l’arbre ou plus exactement faire aimer planter des arbres », en écho à sa nouvelle de 1953, L’Homme qui plantait des arbres. Certes, des inventaires des arbres remarquables sont aujourd’hui réalisés en France (voir encadré). Mais aucun statut juridique n’a encore été conféré à l’arbre, comme c’est le cas pour les animaux, êtres vivants doués de sensibilité, dans le Code Civil depuis 2015.
Jean Touyarou, lui, clôt sa conférence avec les mots du poète indien Rabindranath Tagore : « Arbres, éternels efforts de la terre pour parler au ciel qui l’écoute ». En écho à l’héritage des mythes et légendes sylvestres, ces mots s’enracinent dans la conscience de l’Homme et interrogent ses capacités à prendre soin des arbres et de son milieu.
Pour mieux découvrir les arbres :
Arbres extraordinaires de France Georges Feterman, Éd. Dakota, 2014
Georges Feterman est professeur agrégé de sciences naturelles et président de l’association A.R.B.R.E.S1. qui répertorie les arbres remarquables. Il nous invite à admirer les patriarches de nos forêts, dont l’âge défie le temps, les arbres géants et insolites, impressionnants par leurs dimensions et leurs formes, ceux qui sont vénérés, ou encore associés à des légendes et des traditions.
1A.R.B.R.E.S : Arbres remarquables, bilan, recherche, études et sauvegarde https://www.arbres.org
[1] Source : article en ligne « Palmier-dattier. Botanique et écologie », Zenchi H., A. Fatiha, 2015, Encyclopédie berbère, 37
[2] GIEC : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
Par Tiana Ramarovahoaka