La librairie bordelaise

La réputation de la librairie Mollat est incontestable : comment expliquer la vitalité de cette entreprise ?

Marie Depecker
Marie Depecker

À l’ombre de la porte Dijeaux depuis 1928, dans la dernière demeure de Montesquieu, vit aujourd’hui une belle dame habillée d’un profond bleu roi. Née en 1896, sous les anciennes Galeries Bordelaises très dynamiques à l’époque, la librairie Mollat porte avec fierté ses 115 ans. Elle a résisté, semble-t-il, à tous les assauts : le développement de la grande distribution, le déclin relatif de la lecture, la domination de l’image, l’usage croissant de l’Internet et du numérique…Située dans le quartier le plus commerçant de Bordeaux, à quelques mètres d’une station de tram, la librairie est toujours indépendante et familiale, dirigée aujourd’hui par Denis Mollat, 4e génération à tenir les rennes depuis son fondateur Albert Mollat. Elle a accepté d’ouvrir ses coulisses.

   

Première librairie de France

L’attaché de presse nous présente avec enthousiasme la maison : sur une centaine de salariés, 55 libraires professionnels règnent sur un empire de 2 700 m2 de livres et 140 000 titres. La librairie, comme un tentacule, a créé de nouveaux espaces en rachetant des magasins rues Porte Dijeaux et Vital Carles. Cette mosaïque en fait son charme : chaque lieu est comme une boutique spécialisée. C’est un régal de déambuler dans ce labyrinthe à la découverte d’une pépite, d’une nouveauté ou d’un coup de cœur de libraire…Elle est devenue la première librairie indépendante de France, avec un chiffre d’affaires « livres » de 23 millions d’euros environ. Quelle est donc sa force ?

 

Une équipe passionnée

Avec notre guide, nous suivons le cheminement d’un livre de la livraison au rayon, en passant devant le cœur battant de l’entreprise, l’énorme centrale informatique qui gère toutes les opérations : commandes, stocks, livraisons, ventes… Au premier étage, nous traversons un dédale de bureaux : si les pièces semblent étroites, un peu sombres et vieillottes, c’est une véritable ruche où s’activent ceux qui font les commandes et réceptionnent, celles qui conçoivent, fabriquent les affiches et les vitrines, montent les vidéos des conférences, gèrent le calendrier des auteurs, ceux qui … On sent une entreprise fébrile, vivante et une équipe passionnée. On nous explique comment la librairie a relevé les défis, acquis sa solide réputation au-delà des frontières régionales. Grâce à la passion des livres, un fonds très large, des libraires compétents et disponibles, grâce aussi à l’investissement personnel des salariés et aux nouvelles technologies. Car la concurrence est rude depuis l’arrivée des grandes enseignes dans les années 80.

 

De bons outils de promotion

C’est le credo du patron : la librairie doit être présente, visible, incontournable. En organisant sans cesse des événements autour des livres : conférences chaque semaine avec des auteurs, débats, lectures, contes pour enfants, concerts… On reçoit ici environ 170 auteurs chaque année. Certains sont des habitués : Jean d’Ormesson, Michel Serres, Pascal Quignard…ces rencontres rapprochent un auteur de ses lecteurs, permettent au public d’appréhender l’écriture, la création littéraire et de venir …à la librairie Mollat.

 

Patricia Mac Donald (M. Depecker)
Patricia Mac Donald (M. Depecker)

Ce jour-là, c’est l’auteure américaine de romans policiers, très populaire en France, Patricia Mac Donald qui rencontre ses lecteurs. Dans un beau français parfois hésitant avec un accent délicieux, elle échange quelques mots avec ses fans avant de leur dédicacer son dernier livre Une nuit, sur la mer. Vers 18h, elle se rend dans le salon rouge du 3e étage où elle est interviewée par une journaliste et le public sur son œuvre. Lorsque l’auteur est très renommé, il faut parfois faire la queue pour espérer assister à une conférence (88 places seulement dans le salon). Mais on peut désormais les écouter sur le site internet de la librairie, www.mollat.com, site qui permet un lien permanent avec les lecteurs dans toute la France et ailleurs.

Denis Mollat se réjouit d’entendre les Bordelais raconter partout que « la librairie leur appartient ». Y entrer sans but précis, y flâner d’un espace à l’autre, c’est déjà voyager sur les chemins de la connaissance, de l’histoire, de la littérature et de l’émotion.

Marie Depecker