Vigneron ou viticulteur


La culture bio se trouve confrontée aux règles de l’économie au sens large du terme. Est-il possible en 2014 d’en vivre tout en restant lucide sur la nécessité de s’accommoder aux lois du marché ?

 

Pour espérer avoir une réponse, il faut aller à la rencontre de Jean-Jo Brandeau. Il exploite le domaine de la Vrille-Têtue, forte de 13 hectares à dominante Merlots sur la commune de Saint-Vincent de Paul, une des 300 exploitations bio sur 7000 conventionnelles en Gironde. Ce personnage, passionné et passionnant, ne cherche pas à vous asséner ses vérités mais à vous convaincre que la voie qu’il a choisie n’est pas impossible à suivre, surtout si elle est le fruit d’une réflexion globale sur le devenir de notre planète.

 

Jean-Jo Brandeau (photo A.Lagrange)
Jean-Jo Brandeau (photo A.Lagrange)

Une démarche personnelle et réaliste

C’est à partir de 1990 que Jean-Jo Brandeau, adhérent de la Confédération Paysanne, considère qu’il est temps, conformément à ses convictions, de limiter les agressions à l’environnement et de l’environnement. Il se projette dans une autre vision du travail de la terre. D’abord il développe sa propre définition de la culture bio. Au lieu de cultiver et préparer la terre sans produits chimiques de synthèse, il agit comme cultivaient nos grands-parents, il y a une soixantaine d’années.

Plus de désherbant, d’insecticides et travail de la terre à quatre temps : chausser* à l’automne, déchausser au printemps, rechausser en juillet, redéchausser en août cette terre alluvionnaire entre Garonne et Dordogne.

« Les engrais sont des produits organiques, les traitements, de la bouillie bordelaise, les désherbants, une bonne vielle charrue et les clarifiants, ajoute notre vigneron, du temps et de la patience. »

En ce qui concerne la récolte du raisin, il n’y a pas de différence avec la culture conventionnelle et la vinification ne se fait pas en barrique pour ce Bordeaux supérieur dit vin de palud. Jean-Jo en conteste d'ailleurs l’utilisation devenue plus une mode qu’une nécessité.

Rejoint par son fils Pascal en 2000, il sait que pour vivre de son travail avec la culture bio, «  il faut maitriser les coûts d’exploitation de la terre et rechercher des débouchés pour vendre son produit. » « C’est ainsi que la vendange a été mécanisée » ajoute Jean-Jo Brandeau, avec un petit pincement au cœur. Mais l’informatique a facilité la gestion et amélioré la communication auprès d’éventuels acheteurs que les producteurs peuvent contacter de la Bretagne au Pays Basque.

 

Une démarche cohérente

Jean-Jo Brandeau intègre son rapport à la terre dans une vision globale du monde agricole. Protéger la terre, c’est aussi protéger les hommes car le bio préserve la santé.

À ceux qui assurent que la culture bio ne pourrait à elle seule nourrir la terre, le vigneron a vite fait de citer le rapport de l’association Chrétien dans le monde rural qui affirme que le bio peut se pratiquer sur toutes les terres car moins exigeant alors que la culture intensive choisit ses terrains.

La terre produit des aliments bio plus nutritifs pour l’homme et moins usants pour elle-même car les rythmes agricoles suivent la nature alors que la culture intensive cherche à s’exonérer de celle-ci, même s’il ne fait sienne la théorie de l’équilibre cosmique de Rudolf Steiner (1861-1925), père de l’agriculture bio dynamique qui va jusqu’à fixer le calendrier des travaux en fonction de l’influence de la lune.

Il argumente encore quand il constate la superficie utilisée par l’élevage est trop importante rapport à la culture. Selon lui, la consommation de viande est surabondante dans nos sociétés. Elle pourrait être moindre sans conséquences néfastes pour la santé des hommes, tout en favorisant l’extension de la culture bio.

À son niveau de réflexion, Jean-Jo Brandeau associe une vision globale cohérente avec sa démarche, sur la façon de se nourrir, de se soigner mais se refuse à une vision ascétique car il le dit lui-même : «  De temps en temps, un excès calculé ne peut pas nuire. »

Réaliste, ce vigneron l’est. Il sait que sa terre n’est pas isolée du reste du monde et que la proximité d’éléments, permanents ou de passage, aux visages des puissants lobbies, vient ramener la culture bio à ce qu’elle est : une volonté d’exister pour montrer qu’une autre voie est possible, sans concession mais avec réalisme.

 

Alain Lagrange

*Cette série de travaux consiste à rassembler ou retirer la terre des pieds de vigne.