Terres blanches

Histoire centenaire de l’exploitation des carrières d’argiles kaoliniques dans la région de Clérac, entre Charente et Gironde.

La société Argiles et Minéraux AGS est née de la fusion de trois entreprises familiales Argirec, Granger et Sogdar. L'expérience cumulée de ces trois entités dont l'activité remonte au début du XXesiècle, est unique. Le regroupement de leur potentiel est sans doute une garantie pour l’avenir de cette production.

 

De l’or blanc

Silos, entrepôts, chaîne d’ensachage, fours sont regroupés sur le site de Clérac. Sous un voile de poussière blanche, on est au cœur de l’activité mais rien ne semble bouger, seuls quelques ouvriers circulent et chargent un camion. Une petite gare désaffectée devant l’usine rappelle que le kaolin était autrefois acheminé par chemin de fer.

Photos de M. Depecker

 

AGS est aujourd’hui le premier producteur européen d’argiles calcinées (chamotte). Elle exporte environ 60 % de sa production en Europe vers les industries réfractaires et céramiques, porcelaine, faïence, sanitaire et carrelage. La précieuse poudre blanche est aussi appréciée pour la production de plastiques, peintures et même de papier, médicaments et pour certains produits cosmétiques. Ces terres blanches, extraites des gisements charentais, sont en effet réputées pour leur pureté et leur finesse. Elles apparaissent sous forme de lentilles dans des poches de sable. Autrefois, fruit du hasard, le repérage des zones argileuses est réalisé aujourd’hui par des carottiers très puissants qui descendent jusqu’à 60 ou 70 m. Un laboratoire étudie la qualité, le volume, la distance à l’usine…pour décider de l’extraction. AGS exploite une vingtaine de carrières à ciel ouvert avec un matériel très perfectionné, informatisé et automatisé pour extraire, contrôler la qualité et répondre à la demande des industriels. L’argile est broyée, mise en boulets, puis calcinée dans des fours rotatifs, refroidie et de nouveau broyée et tamisée. La chamotte en poudre est expédiée en sacs, big bag ou en vrac principalement par camion vers toute l’Europe.

 

 

 

 

Carrière Saint-Georges exploitée pendant une centaine d'années (archives)
Carrière Saint-Georges exploitée pendant une centaine d'années (archives)

Pioche, pelle et wagonnet

Dès 1865, le maitre faïencier bordelais Jules Veillard souhaite utiliser la terre blanche charentaise pour se libérer de ses fournisseurs anglais. Un commerce s’organise alors entre Clérac et Bordeaux en charrettes tractées par des bœufs ou des chevaux puis en tonneaux sur des gabares ou péniches jusqu’à Bacalan. Mais c’est au début du XXe siècle que l’exploitation s’industrialise. Un banquier de Montguyon, Monsieur Pierre Buisson et un instituteur Monsieur Bourgain s’associent pour fonder une usine de terre à faïence qui s’appellera plus tard Argirec. Trois générations de la famille Buisson vont se succéder pour exploiter le filon jusqu’à nos jours.

Les anciens racontent* : « Chacun prenait ses outils dans la baraque. Pelle et pioche sur l’épaule, c’était la descente dans la carrière. La musique pouvait commencer : arracher l’argile avec la pioche, niveler le sol pour poser les rails, remplir le wagonnet avec la pelle, l’envoyer vers le treuilliste qui surveillait la montée… travail très dur, l’enfer disent certains surtout l’été en plein soleil, ampoules aux bras, aux jambes, aux mains ; commandés durement, il fallait ronger son frein pour garder son emploi mais la camaraderie était de règle et on buvait ensemble un bon coup pour se donner du courage. » Présence des ouvriers dans la mine 12 h par jour, 7 jours sur 7. Souvent des petits paysans qui venaient chercher un salaire pendant que leur femme cultivait quelques vignes ou céréales ; la terre n’était pas très fertile dans la région. Beaucoup n’hésitaient pas aussi à faire sonder leur champ en espérant y trouver l’or blanc de la fortune.

Depuis les années 60, le travail est totalement mécanisé. Aujourd’hui AGS emploie 365 personnes, beaucoup à la maintenance du matériel et au transport des produits.

 


Mystère des lacs bleus

Photos de M. Depecker

 

Quand l’exploitation d’une carrière se termine, la nature reprend ses droits. La pluie et les eaux de ruissellement comblent les trous restés à ciel ouvert. Les lacs artificiels sont d’un bleu profond quand le ciel se reflète sur les parois blanches ou turquoise quand les algues et les roseaux colonisent le site. Autrefois, les jeunes s’y retrouvaient, à l’abri des regards, pour plonger dans ces eaux pures et mystérieuses. Le principe de précaution n’existait pas encore. Attention, les parois glissent !

D’autres sites ont un seconde « carrière » comme celui de Saint-Georges au Fouilloux : après sa fermeture, le plan d’eau entouré de pins sera réservé au développement de la flore et de la faune et un musée du kaolin est en projet. Les étangs sont également des réserves pour l’irrigation des terres agricoles. Modestement, le site de Beauvallon est une petite aire de loisirs privée avec un restaurant pour déjeuner aux beaux jours. Alors rendez-vous cet été sur les bords du lac, près de Montguyon, pour vous imaginer pendant quelques heures…aux Caraïbes.

Marie Depecker

* Terre Blanche, témoignages recueillis par Didier Heulet et Didier Moreau