Ocres et peintures

 

La Terre, appelée Planète bleue par les astronautes du hublot de leur capsule, offre bien d’autres couleurs à notre niveau d’humains.

 

Terre d’ombre naturelle, brûlée, jaune, rouge, rouge vénitien, terre verte, noir de Rome ou terre de Sienne, de Chypre, de Sardaigne, d’Espagne, de Suède, de Bourgogne, des Ardennes, de la Nièvre ou du Vaucluse autant de noms qui nous sont attribués et d’endroits d’où nous sommes extraites.

 

Autrefois

Je suis l’ocre jaune, pigment naturel. Mon lieu d’origine est Roussillon, connu aussi sous l’appellation Colorado du Roussillon. Antérieurement à la préhistoire, la Provence est recouverte par la mer. Des sédiments arrachés aux terres alentour s’accumulent au fond des eaux. Après une très longue période de vie marine et suite à des mouvements du sol, la Provence se retrouve hors de l’eau. C’est la naissance des sables ocreux. Climat tropical et pluies diluviennes, à cette époque, sont les premiers exploitants de l’ocre et l’homme des cavernes, le premier utilisateur pour illustrer sa vie de chasseur et les animaux qui l’entourent. Extraite des carrières à ciel ouvert, je suis lavée et malaxée laissant au passage sable et impuretés plus lourds que mes fines particules. Je continue mon chemin au travers de batardeaux en forme de v, et me dirige vers des bassins de décantation. Le climat le permettant, je sèche à l’air libre, et je suis ensuite découpée en pains. Pour devenir ocre rouge, je passe dans des fours à diverses températures.

 

Prête à l’emploi.

Mes qualités sont mon pouvoir couvrant et colorant, ma miscibilité dans tous les liquides sans réaction, mon inaltérabilité aux ultraviolets, je suis non toxique et d’un prix de revient peu élevé. Les artistes peintres me mélangent avec du médium – huile de lin et essence de térébenthine en différentes proportions – pour leur peinture à l’huile, à la chaux pour les fresques, à l’eau pour l’aquarelle. Je peux être mixé à l’infini aux autres ocres de couleurs différentes. Ce sont dans les badigeons pour bâtiments que je me révèle le plus utile. Mon aspect est mat, je protège les bois et les rends imputrescibles. En Suède, au XVIIe siècle, les maisons de rondins sont peintes à l’ocre rouge par ordonnance des autorités municipales lors des visites royales. La coutume a gagné tout le pays et la couleur est devenue la peinture nationale suédoise. En Côte-d’Or, le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement a initié l’opération du retour aux couleurs du terroir dans plus de 15 villages. Après un inventaire des traces d’anciennes peintures, trois à cinq couleurs sont proposées aux communes. Les chantiers sont réalisés par la population aidée de professionnels bénévoles ; ils appliquent deux couches de peinture, une le matin et une l’après-midi, mon temps de séchage étant d’une heure environ.

 

Colorant naturel

Je servais de colorant alimentaire des peaux de saucisse de Strasbourg, du tabac à priser, du papier des cigarettes Gitane maïs, des croûtes de fromage. En médecine, au Moyen-Âge, de pansements gastriques. J’étais utilisée pour nettoyer l’argenterie, polir métaux et glaces, raviver les couleurs des carreaux de terre cuite et colorer les caoutchoucs, protéger le bois des volets, coques de bateaux, etc…

Maintenant, j’entre encore dans la fabrication des peintures, papiers peints, cartons d’emballage, linoléums. Je sers à dénaturer le sel de déneigement. Je colore engrais, savons, appâts de pêche, émaux, céramiques, encaustiques, caoutchouc.  

 

Pourtant la période faste de mon exploitation périclita vers 1930 à cause de la crise et lorsque les grands trusts de la chimie mirent sur le marché des colorants artificiels. La Deuxième Guerre n’améliore pas la situation et les carrières ferment les unes après les autres. Il reste une petite production qui vers 1990, grâce à une nouvelle clientèle, a permis de remettre à l’honneur mon produit. Les méthodes d’extraction ont changé et se font par engins mécaniques. Le minerai est lavé par arrosage automatique. Je survis grâce à la Société des ocres de France, une des trois dernières exploitations actives en Europe.

Terre d’ombre naturelle, brûlée, rouge, jaune, verte ou noire, je reste l’ocre pigment naturel riche de mes origines.

 

 

Claude Garetier