Terre et jardins familiaux

         

Comment le travail de la terre dans la commune de Bassens a forgé du lien social et donné au  jardinage des vertus insoupçonnées.

 

Cette pratique venue d’Angleterre s’est dénommée à l’origine les jardins ouvriers car les usines mettaient à disposition de leurs ouvriers des parcelles de terrains pour les cultiver. L’abbé Lemire en fut le fondateur en France en 1896 dans la région d’Hazebrouck.

 

Multiples raisons de jardiner

Qui peut obtenir une parcelle ? Il faut être Bassenais et la règle de départ voulait octroyer les parcelles selon un partage de 50 % de personnes au RMI et 50 % de personnes vivant en collectif qui paieraient un loyer de 57 à 85 € selon la taille.

Il a fallu réglementer en remettant une clé du site à chaque occupant et responsabiliser les jardiniers en créant un bureau dont le président est en quelque sorte la courroie de transmission de l’autorité municipale. Ainsi les engrais chimiques sont interdits, ainsi que la monoculture ; les fleurs sont autorisées.

C’est toujours Mme Lamery qui avoue «  très vite, il a fallu admettre que la clôture des parcelles était indispensable, la vie en collectivité générant parfois des conflits à éviter. »

Les raisons d’être locataires sont multiples mais tiennent toutes à la générosité de la terre. Pour certains, l’économie au sens propre du terme leur permet d’alimenter en légumes la famille à un moindre coût car la vente est interdite. Pour d’autres, c’est une échappatoire au domicile trop confiné, entre télé et canapé. Joao, présent depuis dix-huit ans, affirme simplement « vouloir être au plus prés de la terre et donc de la nature ». Avoir un coin pour se détendre est parfois la motivation comme cette personne qui ne cultive pas sa parcelle mais l’entretient et y vient régulièrement  avec son enfant handicapé.

Il y a ceux qui veulent simplement apprendre une activité qu’ils n’ont jamais pratiqué comme Christian qui « voit pousser fleurs et légumes grâce aux conseils divers, qui s’appuie sur les expériences visuelles des autres jardins et découvre la culture bio ».

Et même parfois, il est accepté de déroger à la règle « sociale » puisqu’un ingénieur retraité a été accepté, quelques parcelles libres permettant de répondre à sa passion du jardinage.

 

La politique de la ville s’en mêle

La commune de Bassens dès 1993, alors partie prenante au Grand projet de ville, dispositif commun et spécifique avec les villes de Cenon, Lormont, Floirac, s’implique dans le mouvement développé par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, de réappropriation des friches et de reconquête des paysages.

Il fallait trouver du terrain. Ce fut fait en louant 8 000 m2 à la SNCF au lieu-dit Sibylle. Puis il fallait réunir les partenaires potentiels. Ce fut fait avec la Commission locale d’insertion, la Caisse d’allocations familiales, le Conseil général, le Centre social communal et l’État tout en associant à la réflexion des jardiniers intervenant sur des terrains proches, prêts à venir occuper ceux des jardins familiaux en devenir.

Le projet prévoyait quarante parcelles, des allées d’accès à chacune, des cabanons individuels, des moyens d’arrosage pour un coût de 150 000€ dont 20 % à la charge de la ville. Il s’est rattaché à la Fédération nationale des jardins familiaux pour faciliter l’obtention de conseils juridiques et techniques.

La réflexion pouvait alors porter sur la gestion du site. C’est en 1996 qu’à l’occasion de la convention avec la Fédération nationale des jardins familiaux, la ville de Bassens a décidé la gestion en régie de la structure.

C’est Lamery Josiane, maire adjointe, porteuse du dossier qui dit : « le dossier administrativement ficelé, il allait falloir le traduire dans les actions et surtout mettre en pratique les idées généreuses qui avaient motivé son montage. »

 

L’essentiel est ailleurs

Les jardins familiaux sont un projet social au sens large dont la terre est le support. On y pratique l’inter générationnel car les jardiniers sont de tout âge, retraités ou travailleurs. On y pratique la mixité car si les origines sociales sont convergentes, les métiers, les professions se distinguent. On y pratique l’interculturel car les nationalités dans cette banlieue urbaine sont différentes et le prouvent dans le choix accepté de leurs plantations. On y pratique la parité…ou presque car le sexe féminin est aussi présent ; cette terre n’est pas réservée au sexe masculin.

En fait, c’est une sorte de laboratoire du fameux vivre ensemble et de l’apprentissage parfois compliqué de la vie en collectivité.

C’est Christian, le président qui insiste sur son action « dont le but principal est de créer du lien entre jardiniers en faisant du jardin un lieu de rencontre, d’échange, de cohésion sociale ».

Pour cela il lui a fallu initier des actions : mettre en place des travaux collectifs deux fois par an suivis d’un repas partagé, nettoyer les abords, inviter à une réunion générale.

Mais comme dans toute vie en collectivité, il reconnait les difficultés inhérentes à celle-ci. Il a eu vent de la barrière invisible entre ceux du haut et ceux du bas, de la taille curieuse de légumes qui n’ont pas dû être élevés qu’au compost, du désintérêt de certains, trop nombreux à son goût, pour les activités collectives et regrette que la fête des jardins financée par son association n’est attirée que dix sept personnes.

En ce sens, il voit d’un bon œil le projet de jardin partagé qui va, sur une parcelle, faire intervenir des handicapés ou des personnes en besoin d’insertion en les faisant travailler ensemble.

Quel est le devenir des jardins familiaux ? L’urbain va-t-il coloniser tout le territoire de cette commune et faire oublier le rôle social voire thérapeutique de la terre et du jardinage.

Cela n’empêche pas Josiane d’affirmer sa fierté d’avoir accompagné ce projet et Christian de ne pas regretter de s’être engagé dans sa gestion au quotidien.

 

Alain Lagrange