Mille siècles de pratiques funéraires

Le respect des morts serait-il une constante de la nature humaine ?

"Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante" ( R. Peuron)
"Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante" ( R. Peuron)

L’archéologie fait remonter très loin dans le temps la présence de l’Homo erectus sur terre. Elle a mis à jour, ici et là, différents squelettes et de nombreux vestiges matériels mais un mystère lancinant  subsiste : quelles étaient les croyances religieuses de ces premiers hommes ? Pour eux, que devenaient les corps privés de vie ? En 1930, une découverte considérable est effectuée en Israël et en Égypte : des sépultures intentionnelles dont il est possible de faire remonter la date d’édification à 100 000 ans. L’Homo sapiens et son cousin, Homo neanderthalis, ont donc franchi au même moment un prodigieux degré dans leur structure intellectuelle.

 

Une réponse

Bernard Vandermeerch, professeur d’anthropologie à Bordeaux I, est chargé d’entreprendre des fouilles complémentaires qui s’avèrent, au point de vue scientifique, très fructueuses. De nombreuses sépultures sont ainsi mises à jour ; elles offrent de précieux renseignements sur le soin qu’apportaient les vivants en se séparant de ceux qui les avaient quittés.

Les pratiques funéraires n’ont donc pas attendu l’homme moderne actuel pour commencer à se développer, mettant en relief ce besoin de lien respectueux et d’enracinement dans la mémoire de ceux qui restent. Petit à petit, les inhumations des corps sans vie sont l’objet d’une accaparation par des mouvements essentiellement religieux qui y voient une caisse de résonance à leurs discours sur l’Au-delà. De leurs côtés, les nations ou les clans, à la recherche de héros susceptibles de prouver leur grandeur, trouvent aussi dans ces inhumations, un moyen de garnir leur panthéon de grands hommes mythifiés pour l’occasion. À tort ou à raison, les uns misent sur l’angoisse du futur, les autres cultivent la vanité d’un passé magnifié.

 

Lieux de tout repos ?

L’histoire du cimetière juif de Bordeaux, dit de la Nation portugaise, situé au 105 cours de la Marne, est significative. Le terrain qui lui a été destiné, a été acheté à la paroisse Sainte-Croix en 1724 et pouvait contenir 800 sépultures. Saturé en quelques décennies, il fut fermé et est resté en l’état jusqu’en 1911 lorsque le ministère de la Guerre décide qu’il a besoin d’un tiers de sa surface pour y installer un régiment d’artillerie. Deux cent soixante-neuf sépultures sont ouvertes et les dépouilles qu’elles contiennent sont, dit-on, transférées dans un autre cimetière de la ville. Les pierres tombales déplacées restent sur place, disposées de façon anarchique, ce qui confère à l’endroit un aspect surréaliste.

Au fil des siècles, ces lieux, dédiés en principe à la sérénité, sont aussi le théâtre de débordements épisodiques, suscités par la haine et l’intolérance. Combien de cimetières ont été saccagés lors de guerres de religion ou à l’occasion de pogroms ? Ceux qui n’ont pas la même croyance n’auraient-ils pas droit à un passé ? Depuis un certain temps, les profanations imbéciles ou haineuses ont tendance à se multiplier. En 1990, l’une des plus spectaculaires est celle du cimetière de Carpentras. Dernièrement, celles de sépultures d’anciens combattants de l’armée française venus d’Outremer révèlent un malveillant état d’esprit récurrent.

 

Histoires humaines

Il est tellement facile dans ces lieux d’imaginer des histoires tout simplement humaines en lisant les noms de ses occupants, leurs dates de vie, leurs lieux de naissance. Comment ont-ils vécu l’histoire du monde ? Quels savoirs ont-ils emportés avec eux ? Peut-être ont-ils été heureux ? Ont-ils souffert pour conserver une certaine dignité dans leur vie ? Peut-être en vain.

Comment ne pas se remettre en mémoire alors, cette citation d’une lucidité cruelle et tellement réaliste : Vanité des vanités, tout est vanité ! Quel profit tire l’homme de toute la peine qu’il endure sous le soleil ? Une génération s’en va, une génération arrive, mais la terre reste éternellement. Et le soleil se lève et le soleil se couche, puis il se hâte vers son point de départ où il se relèvera. L’Écclésiaste, chapitre I

 

Joseph Benarrous