Blanc, rouge, rosé

 

Dans l’ordre de leur création, ce sont les trois couleurs du Lillet, apéritif bordelais connu nationalement et mondialement

 

Fin XIXe siècle, grande époque de consommation de fortifiants à base de quinquina et de vin rouge, très souvent vendus en pharmacie, deux frères, Raymond et Paul Lillet, liquoristes et négociants en vins fins et spiritueux de grande qualité, créèrent en 1872 la Société Lillet à Podensac en Gironde.

 

KinaLillet blanc.

En 1887, les deux frères voulant se démarquer de leurs concurrents et de la formule habituelle des vins toniques, vin rouge et quinquina mettent au point un vin apéritif à base d’un assemblage de vins blancs (85%), de cépages sémillon et sauvignon soigneusement sélectionnés auquel ils ajoutèrent leurs propres liqueurs (15%) obtenue par macération de fruits dans l’alcool pendant plusieurs mois. La recette est toujours un secret de fabrication. L’ajout de dix liqueurs nécessite un choix minutieux des matières premières à commencer par l’orange. Sélectionnées chez les meilleurs producteurs, elles viennent du sud de l’Espagne pour la douceur, d’Haïti pour l’amertume, du Maroc ou de Tunisie pour la note de fraîcheur. Le Lillet blanc était né après un vieillissement en foudres de chêne pendant environ 12 mois. Il se fait vite un nom dans la région bordelaise, puis en 1901 l’apéritif est lancé à Toulouse et Paris, il est très apprécié par la clientèle chic de l’époque.

 

Entre-deux-guerres

En 1914, l’interdiction de fabrication et de vente de l’absinthe ouvre une part de marché importante pour tous les apéritifs à base de vins mais aussi concurrents de Lillet. Les restrictions de guerre telles que manque de personnel, réquisition des moyens de transports, restrictions imposées des approvisionnements en alcool et en matières premières, n’empêchent pas Lillet d’honorer ses commandes jusqu’en 1916 en vendant toute sa réserve. Le temps de la reconstituer, Lillet s’appuie sur son négoce de vins fins, de confitures, de fruits à l’alcool, prunes et abricots. Les années folles confirment la réputation de ce vin apéritif, soutenue dès 1930 par une publicité plus intensive notamment des affiches illustrées sur le réseau routier. La Seconde guerre voit les mêmes difficultés des conditions du marché qu’en 1914et la désorganisation qui en découle. Ceci ne s’achève qu’en juillet 1949, au moment où les délais de livraison redeviennent normaux et les ventes connaissent un sommet en 1948.

 

Lillet rouge

En 1946, Lillet est introduit aux USA grâce à un négociant new-yorkais, Michel Dreyfus, passionné par cet apéritif adopté par le marché américain. En 1950, 80 % de la production sont destinés aux USA et les 20% restants sont pour le monde entier. En 1960, le Lillet rouge est né, fait de cépages merlot et cabernet, et des liqueurs naturelles de fruits. Le mot Kina de l’appellation d’origine est abandonné et grâce à des campagnes publicitaires à la presse et à la radio, Lillet rouge remporte un grand succès.

Les éloges de consommateurs tels que la Duchesse de Windsor, ou, sous la plume d’Ian Fleming, de James Bond aimant le Dry avec une pointe de Lillet, incitent la jetset new-yorkaise à le consommer de préférence en cocktail.

 

Dernier né Lillet rosé

Fin des années 1980, cherchant à obtenir un type de vin aussi régulier que possible car il arrive qu’il y ait des différences de vieillissement, la société Lillet fait appel à l’Institut d’œnologie de Bordeaux pour des problèmes de stabilisation. Et en 1985, à Manhattan, un jeune bordelais, Bruno Borie, découvre l’apéritif de sa région. Dès son retour, il rachète la société et lui applique une stratégie plus moderne mais assise sur les qualités intrinsèques du produit. De 1980 à 2000, les ventes sont alors de 65% à l’export. En 2008, la société Ricard qui distribuait depuis deux ans la marque, fait l’acquisition de la Société Lillet. Fin 2011, le Lillet rosé est créé à partir des cépages de sémillon, sauvignon blanc et muscadelle. Ce vin est marié aux liqueurs de fruits plus deux nouvelles spécialement conçues pour ce rosé, lui donnant ainsi une vive fraîcheur. Prévu pour l’exportation, une rumeur bienveillante oblige la société à lancer le Lillet rosé en 2013 sur le marché français. Souhaitons-lui réussite et caractère pour faire honneur à ses aînés et représenter dignement notre région et sa gastronomie.


Claude Garetier