Quand la mer se retire

Pêche à pied dans le Bassin d'Arcachon (Photos de D. Hilloulin)

 

La chanson disait qu’ « Il ne reste plus rien »*. Faux, objecteront les pêcheurs à pied ! Passionné, Gilles nous propose une incursion sur le Bassin.

 

Il est 12 h. Mer basse prévue à 13 h 49 : timing idéal, deux heures avant le jusant. Coefficient de marée à 85 : selon notre guide « C’est du moyen plus ! ». L’estran sableux, sillonné, est déjà découvert. C’est là, dans ces plis humides, que Gilles et son ami Jean Pierre vont fouiller le sable avec griffes et râteaux. Nous sommes à la Conche Mimbeau, presqu’île du Cap Féret.

                                                                                        

Au bon vouloir de la Nature

Premières impressions, premiers atouts, la pêche à pied paraît accessible à tous : équipement sommaire et peu onéreux – des ustensiles de jardin, parfois une baleine de parapluie, des contenants usuels (casiers, seaux), des gants et bottes caoutchouc –. Au plan visuel, l’esthète rapprochera la gestuelle de celle peinte par Millet** pour les glaneuses dans les champs. Quant aux fruits de la cueillette, Gilles nous dit, au premier labour dans le sable, que « ce sera au bon vouloir de la Nature ». De fait, au troisième essai autour de leur position, premier banc de coquilles blanches. Visiblement, nos experts ont visé juste. Émerveillement ! Mais il n’en est pas toujours ainsi ; en effet, les deux amis soulignent le côté un peu hasardeux des prises lors des migrations saisonnières du petit coquillage. Et d’ajouter, en vieux loups du Bassin, « ça nous oblige à mettre toutes les chances de notre côté ! » (Observation, intuition, leur connaissance des lieux, et, surtout, leur savoir né de l’expérience). À quelque pas, en pleine surface, des bancs de moules par chapelets : une seconde cueillette débute. L’outil, mains et canif. En effet, respect de la faune oblige, le pêcheur gratte légèrement le filament reliant le lamellibranche à ses congénères, pour sauvegarder l’espèce. Il ne reste qu’à se servir.

 

Faire découvrir

Deux à trois caissettes, pas plus : « C’est comme ça ! » précisent-ils, « On prend un peu pour soi, un peu pour les parents et amis, juste selon nos besoins ! ». Pédagogie environnementale ? Bonnes pratiques halieutiques ? Fruits de l’éducation ? Panachage? Les commentaires de nos deux pêcheurs nourriront une bonne partie de nos conversations du retour. Ainsi comprendrons-nous que ce qu’il reste d’impérissable après la pêche, ce qui, d’une façon autre, a aussi été cueilli, se nomme : ressourcement énergétique, oxygénation, plaisirs sensoriels, bien-être, détente, rencontre d’autres passionnés, bonne franquette, partage. Et ce dernier atout n’est pas le moindre ! Il pétille dans le regard de Gilles répétant à l’envi sa passion à « faire découvrir » LE Bassin et la pêche à pied (son grand père l’initia, il emmène son propre petit-fils). Côté plaisir, ce sera également, tout à l’heure, d’apporter quelques poignées de mollusques et de coquillages à qui les avait demandés. Et puis, comment ne pas se laisser charmer par cette évocation des deux compères ? « Parfois, surtout à la belle saison, on sort réchaud et caquelon, vin blanc, ail, échalote, persil et épices, pour une marinade sur la plage. » Suspension du temps, plaisirs gustatifs en famille ou « entre potes », l’assiette sur les genoux : derrière eux, la pinède et, devant, le sable fin, les clapotis et la dune du Pyla.

 

Ces moments simples

De retour en ville, attablés. Tandis que Gilles sort les verres, nous détaillons les aquarelles, encres et photos au mur .Toutes magnifient ces moments simples de la vie tels que savourés ensemble aujourd’hui. Nul doute que, s’asseyant au chevalet, cet amoureux du Bassin, ce glaneur d’estrans, pieds et mains alliés, cherche à prolonger son univers  sur la toile. Gilles estime avoir fait une dizaine d’émules. Peut-être bien un onzième !

Dominique Hilloulin

 

*interprète : C.Jérôme, 1970 

**Les Glaneuses, J-F Millet, 1857