Toro Passion 

Peinture de Bernadette Serbat (D.R.)

 

Haine et colère sont stériles, la passion porte fruits.

 

Cinq heures de l'après-midi, soleil de plomb, gradins palpitants de couleurs. Le  paseo  s'avance.

Les visages sont graves, les pas rythmés. Premier appel des clarines, le public retient son souffle. Pas un bruit au moment où, affolé par tant de lumière le taureau surgit dans l'arène. Le maestro le scrute. Très vite ils doivent se connaître. Le capote rose se déploie, découverte et observation. Les olé font vibrer la plaza, moment magique. Les naturelles semblent accueillir l'animal, l'envelopper dans les plis de la cape l'auréolant d'une quasi divinité. Un ballet ! Art et esthétique éblouissent, subjuguent. Oublié El Yiyo encorné en plein cœur, oubliés Linares et Islero le Miura noir qui étendit Manolete sur l'arène d'honneur. La corrida, spectacle sanguinaire ou école d'humilité, d'éthique et de culture ?

 

Maestro

Orson Welles a dit : « Le torero est un acteur auquel il arrive de vraies choses ». Richard Milian est un torero auquel il est arrivé tant de choses. Enfant d'émigrés espagnols, il a grandi à l'école de la vie, manière ibérique, auprès d'un père tout puissant qui avait tenté sans succès de devenir torero. Le petit garçon qui craignait le regard des autres, ébahi devant l'animal mythique, captivé par des ors, les paillettes, et surtout désireux de s'affirmer  sera  Maestro. Pas de but en blanc, même si les fleurs tombent parfois dans l'arène le chemin n'est pas toujours couvert de roses. Un défi. La confrontation avec l'animal c'est l'affrontement avec la vie. Pour sortir vainqueur il faut être humble, respectueux et sincère. « Devant le taureau on ne triche pas ». Né en 1960, Richard reçoit l'alternative à Dax en 1981, son parrain Paco Camino. Malgré cela, les plazas le boudent et les habits de lumière coûtent si cher ! Il part donc vers la Colombie et revient cinq ans plus tard confirmer son alternative à Madrid. Pas d'école de tauromachie, parfait autodidacte, soucieux de technique, de beauté du geste, désireux d'offrir à chaque temporada une « mélodie séduisante sur une guitare pas toujours parfaitement accordée », il devient le torero apprécié des toristas. Pour son élégance certes mais surtout pour son courage devant les taureaux de Miura réputés les plus difficiles. « Honnêteté, sincérité » ne cesse-t-il de marteler. « La corrida, c'est l'école de la vie, de la morale, du partage. La fête est réussie quand le Maestro communique et transmet à la foule admirative sa passion et son  ressenti.

 

Fruits de la passion 

Il pleut, la petite arène de Cauna est désertée. Direction les bords de l'Adour, la salle de sport de Saint-Sever. Impossible de sentir le froid, les sourires et l 'accueil des occupants vous réchauffent le cœur. Une vingtaine d'yeux brillants de passion, les apprentis toreros sont là. Deux manquent à l'appel « c'est rare » nous confie Jean « mais ils viennent de Bordeaux le mercredi et le samedi et aujourd'hui il fait très mauvais ». Les deux plus jeunes, Tristan et Jean ont à peine dix ans. Le plus âgé vingt quatre, Mathieu Guillon nous avoue dans un sourire timide : « Je suis déjà torero mais je viens régulièrement chez le Maestro pour l'aider et surtout pour bénéficier de ses  leçons et de ses précieux conseils. Il est très exigeant. Le geste, la technique, l'Art et la sincérité sont indispensables, devant le taureau pas d'à peu près " nous répète-t-il. Toréer c'est entrer en compétition avec soi-même, se dépasser et contrôler la peur qui est là pour tous. La saison dernière je n'ai pas eu de contrat alors je continue à me perfectionner. Dans la salle les « couples » se forment, les capotes virevoltent,  les muletas immobiles ou animées seulement d'un lent vuelo au raz du sol appellent les porteurs de cornes attentifs. Tous sont sérieux, concentrés, transportés  par leurs rêves. Peut-être déjà dans les arènes de Dax, de Mont-de-Marsan ou à las Ventas de Madrid. Les gestes sont purs, les allures élégantes, Richard va de l'un à l'autre rectifiant la position d'un poignet, d'un coude, d'une jambe, distribuant compliments ou remarques. Nul ne paraît se lasser devant la répétition et les maestros en herbe égrainent sous nos yeux émerveillés crinolinas, véroniques, sapopinas et tant d'autres en arborant fièrement leurs capotes ou s'inscrivent les noms  « qu'ils porteront quand ils seront  toreros » ils en sont sûrs. Ils seront dans l'arène. Et même si le prochain Dominguin n'est pas là, le Maestro leur aura transmis passion, respect et art de vivre. Alors suerte Maestro et gracias.

Dany Guillon

 Initiation avec le Marstro Richard Milian (photos de D.Guillon)