Le Grand Jour

Depuis son enfance, près des marais poissonneux du Blayais, Alain est mordu de pêche à la ligne.

Libres propos d'un passionné.

Une inspection s'impose : plombs, dégorgeoir, pince, hameçons... ne rien oublier (photos de C. Bonnetaud)

 

« Le grand jour, pour certains c'est Noël, pour d'autres c'est le 14 juillet, moi, tout ça je m'en balance. Le Grand Jour, le vrai, c'est le 2e samedi de mars parce qu'il ouvre la saison de pêche à la truite. Les copains et moi attendons et préparons ces retrouvailles depuis des mois !

 

Tout commence au jardin

« Dès janvier, dans le potager, je pars à la recherche des vers qui me serviront d'appât. Ce sont des lombrics épigés (j'ai appris ça dans votre numéro sur la terre). Ils ont la tête noire et la queue plate, je les trie et je les calibre, pas plus de 7 cm et moins gros qu'un crayon. Bien sûr, je pourrais me fournir chez Pacific ou ailleurs en teignes, en vers de farine ou de Californie mais comme dit mon voisin Pierrot « si i faut ach'ter ses vers, autant ach'ter ses truites ! » Je garderai ces précieux alliés à la cave – au frigo, ma femme n'aime pas trop ça– dans un mélange de terre, de marc de café et de mousse pour qu'ils soient encore bien frétillants le jour J.

 

Une semaine avant

Un inventaire et une révision complète du matériel s'imposent. D'aucuns vous diront que la pêche au toc (sans flotteur) est rudimentaire mais quand même, après un an de garage, je dois vérifier que tout fonctionne bien. Comme je ne pratique pas que la truite, je choisis les plus appropriés parmi mes cannes et mes moulinets. Il faut aussi réapprovisionner le consommable, les fils, guide-fils, dégorgeoirs et autres olivettes, cendrées, catherinettes (là, je parle des plombs de formes et poids variés) sans oublier l'épingle de nourrice qui servira à défaire les nœuds. Ces menus détails, tous indispensables, me procurent déjà un grand plaisir et me rappellent quantité de moments délicieux et d'anecdotes amusantes. Cela fait, je passe à l'étape essentielle : la préparation des bas de ligne. Avec toute la méticulosité que l'on me connaît, je monte des hameçons de différentes formes et tailles sur des fils plus ou moins fins. Sur place, je choisirai le bas de ligne en fonction de la force du courant, de la profondeur de l'eau, de sa limpidité.

Voyez-vous, il s'agit de mettre toutes les chances de son côté face à un adversaire malin, agressif et combatif. Vous avez bien compris que je parle de la truite sauvage et pas de la truite lâchée la veille ! « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » et même si la gloire m'indiffère un peu, je veux éprouver l'excitation de la traque et le goût de la lutte bien menée face à un combattant que j'estime à sa juste valeur.

 

Demain dès l'aube

Vendredi soir, je descends une ultime fois vérifier que ma bourriche contient bien l'indispensable : pince, épingle, mètre ruban, pierre à hameçons sont à leur place et l'épuisette attend à côté de la canne auxiliaire. À 19h, check-list remplie, je sacrifie au dernier rituel : poser les clés de voiture sur la boîte d'appâts. Non, ce n'est pas une pratique de sorcellerie mais, comme ça je ne partirai pas sans mes esches ! Du vécu ! J'attaque maintenant la préparation de quelques victuailles : pain, cochonnailles et rosé pour le casse-croûte. Pour le déjeuner, un aloyau qui sera grillé sur place et accompagné de rouge, soigneusement choisi pour ce festin dans la nature. C'est fait, alors une douche et au lit !

 

C'est l'heure !

Oh, quelle nuit ! Anxieux, sans cesse réveillé (et si je n'avais pas entendu la sonnerie ?), j'ai même rêvé que je sortais de l'eau une énorme tortue !

Je vous épargne les soupirs et les moqueries de ma compagne qui se désespère d'avoir à ses côtés un gamin de 60 ans…Je me lève tout guilleret malgré tout et je fonce dehors m'assurer que le vent n'est pas de nord, sinon, adieu les truites ! J'avale mon café en marmonnant une vague prière à Saint-Pierre, patron des pêcheurs, je récupère pêle-mêle vers, clés, matériel et en route pour le rendez-vous avec les copains. Tout à l'heure, nous ferons voiture commune vers l'Origne et le Cirons et j'entends déjà Paul, le baryton, qui entonnera comme d'habitude le fameux quintette de Schubert revu et corrigé par Francis Blanche.

Ce sera encore un Grand Jour... »

 

Claudine Bonnetaud