Remue-ménage

Une invitation inopinée à des tâches domestiques va bouleverser la vie d'un malheureux profane.

 

Luc vient de prendre sa retraite, Anne son épouse travaille encore, il va pouvoir enfin se consacrer à ses loisirs favoris, culturels et sportifs, quand un beau jour … mais écoutez plutôt sa complainte.

 

Désenchantement

« Un matin, je découvre, pêle-mêle sur la table, les notices d'emploi du lave-linge, du four à micro-ondes, de l'aspirateur, un épais livre de cuisine et des statistiques de l'INSEE. Je les dévore avec l’avidité d'un Champollion déchiffrant ses hiéroglyphes.

 

Partage des tâches ménagères entre hommes et femmes

                                            1999                                    2010

Par jour :

Femmes                             3 h 42                                  2 h 59

Hommes                            1 h 16                                 1 h 17

 

Ainsi, le temps que les hommes consacrent aux tâches domestiques n'a pratiquement pas évolué en 25 ans. Avec cette lenteur, il faudra des décennies pour arriver à l'équilibre parfait. Et là, mon sang se glace, je reconnais l'écriture d'Anne : « Ni potiche, ni bonniche », un slogan féministe des années 70, suivi d'un édifiant « Et je travaille ! ». Certes, défaillant côté bricolage et jardinage, je me cantonne à la rituelle sortie des poubelles et à quelques courses, certes, l'aide que je propose sans conviction engendre un « Laisse, je vais le faire ! » auquel je n'oppose qu'une molle résistance, mais de là à cette invitation musclée.

Dès ma première incursion dans le cellier où est concentré tout l'appareillage ménager, seul le voyant vert du frigo semble m'adresser un clin d'œil complice, le restant paraît hostile, l'angoisse me gagne. Je vais bientôt considérer cette salle des machines comme une salle des tortures, digne de l'Inquisition et du cruel Torquemada.

 

Photo de D. Sherwin-White

Un apprentissage difficile

L'œil électronique du lave-linge, la programmation, le dispositif d'affichage de la température et de l'essorage me paniquent, vais-je devenir un enfant au tambour sans le concours de Mozart ? Les mérites respectifs des lessives Ariel, Omo ou bien Persil me déconcertent, et moi, qui mélange allègrement torchons et serviettes, je découvre l'usage de la serpillière, ce grossier morceau de tissu. Et de me souvenir alors de ce débat où un ami, allergique au ménage prétendait que, balayer ou repasser étaient des activités de femme qui attentaient à la virilité et que, dans la vie les métiers les plus pénibles étaient le plus souvent exercés par les hommes.

Si la cuisine est loin de me déplaire, l'utilisation de la cocotte-minute s'avère un cauchemar, en cause les temps de cuisson à respecter.

Et puis, insensiblement, je constate que, hormis le repassage, je ne considère plus ces travaux comme des corvées, leur accordant même une certaine noblesse, une étude de la très sérieuse Université de Cambridge n'assure-t-elle pas que les hommes sont moins stressés grâce au ménage ?

 

Étrange addiction

Voici que j'apprécie l'efficacité des lessives en capsule, que je tombe sous le charme d'un banal four à micro-ondes, que je me risque à des recettes originales, que chiffons et torchons ont pour moi valeur de satin. Voilà que je m'entiche de Tornado, mon fidèle aspirateur, la magie de ses vibrations me ravit, je suis bercé par son doux ronronnement qui couvre la radio, refuge de la ménagère de 50 ans. Avez-vous déjà ressenti la sensualité émanant de ce modeste appareil ? Télévision, lecture, sport me laissent indifférent, un jour j'arrache violemment le torchon des mains d'une amie prête à essuyer la vaisselle, c'était comme un crime de lèse-majesté. Est-il question d'acheter un robot-aspirateur, susceptible de travailler à ma place en mon absence, parfois en silence que, pensant au Tornado, je refuse net prétextant qu'un robot ignorait les obstacles comme des fils trainant au sol.

Saisi de frénésie ménagère, je deviens accro, ma boulimie bouscule les statistiques de l'INSEE.

Avec l'argent, le partage des tâches ménagères est l'une des premières causes de conflit au sein du couple, inquiète, Anne souhaita assumer une partie de mes attributions domestiques.

Luc a accepté, il a fait sien le slogan « Ni potiche, ni bonniche » et a retrouvé l'équilibre auquel il aspirait.

Son machisme d'hier ? Anne… a passé l'éponge.

Claude Mazhoud