Dernier rempart

Le CD, un objet en voie de disparition ? La Machine à Musique, un des derniers disquaires indépendants de Bordeaux tente de le sauvegarder.

Rue des Remparts, à Bordeaux, dans sa petite boutique, Jean Claverie accueille avec compétence tous les passionnés de musique qui aiment encore avoir en main, à la maison, un boitier, un livret et tout le disque d’un musicien ou d’un chanteur. Le téléchargement en ligne, légal ou pirate, les achats sur internet, la recherche du tout gratuit ou du low cost ont sapé le marché traditionnel du disque et la profession de disquaire. Trois commerces ont fermé récemment à Bordeaux, Alice Média, Virgin, Harmonia Mundi et le rayon de la FNAC est une peau de chagrin. Hélène de Ligneris, déjà propriétaire de la librairie La Machine à Lire, décide en 2013 de relever le défi en reprenant la boutique d’Harmonia Mundi.

 

Changement dans la continuité

C’est en 2001 qu’Harmonia Mundi ouvre une de ses enseignes rue des Remparts, avec Jean Claverie comme gérant. Spécialisée dans la production et la diffusion de musique classique, de jazz et du monde, cette entreprise française indépendante avait encore, il y a quelques années, 45 boutiques. Mais pour faire face au déficit chronique de certains magasins, elle se restructure et ferme en quelques années 15 enseignes dont la bordelaise. En effet, elle est victime de l’évolution du marché : la grande distribution, pour accroitre ses ventes, rabote les prix toute l’année, les disquaires n’ont pas bénéficié du prix unique comme les libraires et la TVA est restée au taux normal, 20 % maintenant alors que pour les livres, c’est le taux des produits de première nécessité, 5,5 %, qui est appliqué. Le commerce en ligne, le téléchargement et les nouveaux supports d’écoute ont terminé d’alimenter le marasme de la profession. Sensibles au maintien de la culture de proximité et de qualité à Bordeaux, Hélène de Ligneris décide de préserver le lieu, rachète le fond, investit dans des travaux de rajeunissement, propose à Jean Claverie de rester le gérant et en route pour une nouvelle aventure avec La Machine à Musique.

 

Contact et qualité

« Bonjour ! Il est vraiment bien le disque de Barbara ! » « Salut, tu vas bien ? « Bonjour, je ne connais pas grand-chose à la musique classique mais je souhaiterais offrir… »  « Est-ce que vous auriez le disque d’Ibrahim Maaloof, un musicien libanais que j’ai découvert à la radio ? »

Ce n’est pas une foule anonyme qui défile mais plutôt des personnes clientes qui viennent chercher un conseil, écouter une nouveauté dans le petit salon au fond de la boutique et qui aiment bavarder avec le maître des lieux. On prend ici le temps de l’échange, de la découverte. La musique diffusée est celle que Jean Claverie aime. Exigeant pour lui et ses clients, il entend jouer la carte qu’il a toujours choisie, celle de la qualité et du cœur. 4500 références environ sont présentées dans le magasin, une offre assez large pour capter une clientèle variée : classique, jazz, musique du monde, rayon enfant comme avant plus variété, rock et un présentoir pour les labels régionaux. Petite sœur de la Machine à Lire, il était logique qu’un coin soit réservé aux livres sur la musique.

Pour être connu notamment des plus jeunes et des musiciens, l’enseigne crée des partenariats avec les salles de concerts : elle tient une billetterie pour le Rocher de Palmer, invite des musiciens en guise de prélude aux concerts et pour des dédicaces. Ainsi Barbara Hendrix est venue très simplement saluer ceux qui vendent et achètent ses disques à Bordeaux.

Située dans une rue piétonne sympathique, bénéficiant d’une identité commerciale avec des galeries, des artisans locaux comme Pétrusse, la chocolaterie Aliénor, les Noisettines du Médoc…, proche des rues très commerçantes de la Porte Dijeaux et des Trois Conils, l’enseigne peut espérer attirer une clientèle de passage en plus des clients fidèles. Désormais presque seul à vendre des CD en ville avec la Librairie Mollat et la Fnac mais dont le rayon décline, Jean Claverie est plutôt optimiste car les résultats sont encourageants.

Le pari de la Machine à Musique est osé, mais Bordeaux le vaut bien !

 

Marie Depecker