Le temps de l'enfermement

Comment vivre derrière les barreaux ? (photo du site droit-finances)

 

Fleury Mérogis, les Baumettes, ces lieux qu’on occulte parce qu’ils dérangent : quelle vie à l’intérieur ?

 

À l’instant même où l’accusé franchit la lourde porte de l’établissement pénitentiaire, il devient un numéro. Miloud : « 1989, ma première fois. La porte se referme. En un instant, je perds toute notion de citoyenneté, de droit, d’envie ». K.D : « En prison, la perception du temps n’est pas la même, tout devient lent, très lent. La moindre demande pour travailler, s’inscrire aux activités éducatives, sportives, à la bibliothèque, pour voir un médecin prend un temps incroyablement long. Le temps s’étire, il n’est plus dynamique, il stagne, l’esprit aussi ». Julien : « Le monde continue de tourner, vous n’en faites plus partie ». « Il est telle heure dehors, je serais en train de faire ceci ou cela, mais là vous ne faites rien. »

 

Fleury Mérogis

Tout bénévole entrant en univers carcéral est soumis aux mêmes règles que les délinquants : prise en charge par un gardien, fouille, portes et grilles fermées à clef au fur et à mesure de son avancée dans les quartiers pour atteindre la pièce réservée à son activité. Prévoir 30 mn de parcourt.

Jacques Noël y intervient régulièrement avec un autre bénévole en tant qu’écrivain public. Un panneau informe les prisonniers des jours et heures de la permanence. Le bureau muni de vitres incassables se trouve au niveau du poste de contrôle de l’étage. Le gardien peut ainsi de l’extérieur avoir une entière visibilité. Toujours par sécurité, une sonnette se trouve à portée de main. La demande est importante. Beaucoup de personnes étrangères, en échec scolaire, sont amenées à demander leurs services. Les écrivains publics sont là pour expliquer les termes juridiques, rassembler tous les documents nécessaires à l’aide juridictionnelle pour l’un, à la demande d’expulsion du territoire vers le pays d’origine pour l’autre. La liste est longue. À noter que, quelle que soit la lourdeur de l’accusation, les prévenus sont tous respectueux, non agressifs, très attentifs. Mais force est de constater que, les jours passants, le dynamisme s’estompe. Vivre reclus dans un univers bétonné, grillagé, est difficile à supporter. Les cellules étroites surpeuplées, le bruit incessant des portes métalliques qui s’ouvrent, se referment, celui des clefs tournées sans ménagement dans les serrures, les cris des uns et des autres, les coups portés sur les murs mènent à l’abrutissement.

 

Temps positifs aux Baumettes

Maison d’arrêt marseillaise, elle accueille des détenus de courtes peines ou en attente de jugement. Rencontrée lors du festival international de journalisme à Couthures, Élisa Portier, grand reporter à Radio France, puis fondatrice et directrice de production de la revue Sonore, est à l’origine de Radio Baumettes : « une radio faite par les prisonniers, pour les prisonniers ». L’administration du pénitencier choisit les volontaires. L’émission diffusée sur le canal 14 des téléviseurs renseigne sur les activités, le droit aux consultations médicales, mais, pas seulement. C’est un véritable travail d’équipe qui s’instaure 3 fois par semaine : « Il faut savoir exploiter l’énergie du moment, appréhender l’outil radiophonique dans un cadre donné. » Le thème choisi débouche sur la lecture d’extraits de livres littéraires, scientifiques ou de nouvelles écrites par les participants, mais aussi du rap, du folksong, du jazz-rock. Le but est d’aider les prisonniers à « s’évader » de leur univers quotidien. Pour y contribuer davantage, un invité par semaine vient « du dehors », nécessitant la préparation d’interviews. Marina Piétragalla, Malek Boutih, Massilla Sound System pour ne citer qu’eux ont répondu présent. Des étudiants de l’école des mines de Gardanne aussi.

 

Le temps de la liberté

Après 10 ans d’incarcération, le premier stagiaire d’Élisa Portier, Mouloud Mansouri organise sans relâche des ateliers d’écriture et des concerts dans les prisons. Mouloud dit être un survivant prêt à tout pour faire entrer un peu de culture derrière les barreaux. Pour d’autres, l’enfermement a laissé ses marques. Julien : « On en sort épuisé, longtemps incapable de construire un nouveau projet de vie. Même condamné à une courte peine, un détenu le reste à vie. »

 

Jeanine Lacoste Duguet

*Les témoignages sont extraits du journal  Le Monde 19/12/2008