Passeurs d'histoire

Casteljaloux... Mémoires    (photo de D. Guillon)

 

Enrichis du passé, tournés vers l'avenir « objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme ?

 

L'air du temps, La patine du temps, L'esprit des siècles, Le temps des secrets, Au temps passé, L'île du temps... Les voyez-vous toutes ces boutiques porteuses du témoignage des générations passées ? Y entrer, c'est partir à la rencontre des hommes de l'art autant que de ses propres racines. Qui se cache derrière ces noms magiques ?

 

Ebéniste antiquaire

Une ruelle moyenâgeuse, colombages, étage en surplomb. Blottie au milieu, L'Échoppe. Une grille en fer forgé protège le mystère mais, au travers, on devine verreries, cristaux, porcelaines et meubles. Hugues Régnier, souriant, aimable, est antiquaire depuis 35 ans mais désireux de le devenir depuis toujours. Ses grands-parents, amoureux des meubles anciens, lui ont transmis leur passion. Il est devenu ébéniste. « On connait et on comprend mieux les objets lorsqu'on sait comment les fabriquer, comment en reconnaître et en apprécier les essences. Redonner vie à une armoire ou un fauteuil, c'est entrer dans les maisons et y faire parfois d''extraordinaires découvertes : objets oubliés, dédaignés, rares et beaux. C'est aller à la rencontre de générations, de régions. Il m'arrive d'acheter des pièces sur un coup de cœur ou parce que les propriétaires m'en ont conté l'histoire. Rentré chez moi, je les contemple, les imagine en situation et je les garde... Ma maison c'est mon musée. » Aujourd'hui, Hugues ne pratique la restauration que pour ses propres boutiques. Il court les brocantes, les antres des collectionneurs ou répond aux appels de particuliers désireux de changer d'ambiance. Métier de passion au cœur de pièces dont «  le charme et la patine résisteront aux modes du plastique et du carton » nous confie-t-il en montrant la superbe table en bois blond, assemblage de deux consoles qui trône au milieu de l'échoppe. «  Combien de mains l'ont effleurée ? Combien d'intrigues se sont nouées et se noueront encore autour d'elle ! »

 

Antiquaires amoureux

Aujourd'hui retraités, Claude et Evelyne étaient professeurs en Normandie. Élèves, Lettres et Mathématiques auraient pu suffire à leur bonheur. Et bien non ! Ils se mirent à hanter les vide-greniers. Et ce qui devait arriver arriva : ils tombèrent amoureux...du mobilier Art Nouveau. Livres d'histoire, livres d'art, conférences, tout leur fut bon. Les aquarelles japonisantes, les étonnants motifs végétaux sur les pâtes de verre orangé devinrent une passion. « Le vendredi, on sautait dans le fourgon, direction Pau, Tarbes, Bordeaux. Un impératif, être en cours le lundi matin. Au diable la fatigue comparée à la découverte d'un Lalique, d'un Daum, d'un Gallé ou d'un Muller. Au retour, nous changions parfois de chauffeur tous les 20 km. Joie de la découverte, plaisir de voir surgir l'objet rare et parfois même de le sauver. » Spécialiste des pâtes de verre, Claude, sous l'influence d''Evelyne, érudite avertie, va se tourner vers les Barbotines. Aujourd'hui, leurs petits enfants s'émerveillent à voir jaillir du creux de leur assiette fraises, pêches ou autres décors rustiques et colorés. Dernier enthousiasme : les bronzes. Le Corbeau de Sandoz, réalisé par la fonderie Susse, veille sur leur salon leur faisant partager la nostalgie de temps pas si révolus.

 

Centenaire

« Surpris devant ma bonne mine, mon teint à peine jauni et les roses sauvages qui égaient mon minois ? Je trône dans la vitrine de L'île du temps mais je vais bientôt repartir vers de nouveaux petits plats. J'oubliais de vous dire que j'ai 90 ans passés. J'en ai connu des maisons ! Dans ma prime jeunesse, au cœur du Gers, j'ai réchauffé les mains des enfants transis de froid au retour de l'école et cuit les foies gras de janvier. Un jour, on n'a plus voulu de moi. La quarantaine venue, je me suis retrouvée au fond de la Lande ou j'embaumais de l'odeur des somptueuses garbures. Les temps changent, les gens prennent de l'âge et cette diablesse d'électricité m'a chassée. Ce sera plus simple, disait-on. Or la soi-disant fée est de plus en plus chère et le bois abonde par chez nous. Mes églantines ont tapé dans l'œil d'un jeune couple et devinez où je vais déménager, moi, la vieille et pimpante cuisinière presque centenaire... dans une cuisine flambant neuve. Rien d'impossible à qui a une histoire.

Arrêtez-vous, admirez les antiquités et pensez qu'elles sont comme vous, le fruit de leur passé et de leurs espoirs d'avenir.

 

Dany Guillon