In vino... fatalitas!

Boire ou conduire, il faut choisir : vous le savez bien ! Mais le savoir-vivre avec le vin, le maîtrisez-vous toujours ?

 

Le vin n'est pas un produit alimentaire banal. Comme le pain, il joue dans notre civilisation un rôle psychologique, social et culturel. C'est un aliment spirituel dont l'histoire est inséparable de celle de l'homme et qui gardera toujours une place à part.

 

Quelle histoire  !

Dès le néolithique, l'homme préhistorique connaît les propriétés du jus fermenté de certaines baies. La vigne est originaire des flancs du Caucase. Puis, cultivée et propagée par les Sumériens et les Assyriens, elle parvient en Europe grâce aux Phéniciens. L'épopée de Gilgamesh conte l'histoire d'un roi sumérien cherchant l'immortalité, quelques trois mille ans avant J.-C. Un des épisodes relate un déluge, ressemblant de façon troublante à l'épopée biblique. Rescapé de l'aventure, Gilgamesh plante de la vigne et en vinifie le fruit. S'enivre-t-il comme Noé ? Voilà bien la dualité du vin ! Dès la Grèce antique, Dionysos exprime le jus de raisin et le fait goûter à ses nourrices, les nymphes, joyeuses et enchantées. Mais, il punit les laboureurs ivres qui ne respectent pas les conseils de prudence et de modération. Le vin est alors utilisé comme un calmant apportant le sommeil, la délivrance de la douleur, la sagesse et le courage.

En Haute-Égypte, à l'époque où Gilgamesh court le monde, il est mis à contribution pour laver la cavité abdominale lors de l'embaumement. Le vin est la seule boisson digne d'accompagner les pharaons dans l'au-delà. Tous les habitants du pourtour méditerranéen en connaissent les propriétés médicales et antiseptiques. Les aliments sont lavés avec du vin ou du vinaigre ou marinés pour les conserver. Les blessures en sont nettoyées avant de les panser. Les Anciens le considèrent comme un produit naturel, enrichi par le travail humain, responsable de dégradation en cas de consommation abusive.

 

Les religions du Livre 

Durant les noces de Cana, le Christ transforme l'eau en vin et, durant la Cène, présente celui de sa coupe comme son propre sang. La Bible regorge de citations sur ses bienfaits et la façon de le boire. L'Ecclésiaste préconise : “ Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin ”. C'est la boisson des Chrétiens. Saint Thomas d'Aquin est lapidaire : Aequa vita vinum ou “ vin égale vie ”.

La religion juive oscille aussi entre célébration et mise en garde. Le Talmud déclare : “ Il n'y a pas de joie sans vin ”. Le vin kasher participe aux rites religieux. La religion musulmane se distingue par un interdit, certains disciples du Prophète ayant blasphémé dans leur ivresse. Voilà une fatwa qui dure, encore que certains s'en affranchissent. Omar Khayyam, persan du XIIe siècle et poète universellement reconnu :

“ Veux-tu que ta vie repose sur une voie solide ?

Veux-tu vivre affranchi de tout chagrin ?

Ne demeure pas un instant sans boire du vin. ”

 

En campagne 

Les Romains font déjà un classement : le Salerne l'emporte haut la main. La première école d'Italie, située à Salerne, arbore donc sur le fronton d'entrée : “ Bois un peu de vin ”. Celui-ci est reconnu comme antiseptique. Les populations pauvres et affamées, les troupes en campagne ; les équipages des navires sont victimes du scorbut. Voilà des échantillonnages ! Les Français sont abreuvés de vin, les Anglais d'eau-de-vie. Que croyez-vous qu'il arrive ? Ce sont les Anglais qui crèvent…

Plus près de nous, Claude Bernard et Louis Pasteur marquent l'ère du début de l'étude scientifique du vin. Ils permettent la compréhension de la fermentation du raisin et identifient bien des maladies possibles. D'où la conclusion qui reste gravée dans la mémoire du buveur français : “ Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ”. C'est oublier qu'à l'époque, on meurt encore du choléra, de la typhoïde et autres maladies liées à la consommation d'eaux polluées. De là, le “ À votre santé ” quasi-rituell. Actuellement, un milliard de personnes sont privées d'eau saine et accessible en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Chaque année, trois millions cinq cent mille enfants de moins de cinq ans meurent, faute d'eau potable. La quête perpétuelle de cette eau par les femmes et les enfants qui en sont chargés les empêche d'accéder à l'éducation. Cercle vicieux ! Au secours Pasteur, reviens !

 

Le vin médecin

Le vin est un nutriment, directement assimilable par l'organisme, sans digestion. Plus de six cents composés identifiés et les chimistes travaillent toujours. D'abord, de l'eau en majorité, puis de l'alcool, exactement de l'éthanol. Des acides, couleur et structure du vin, des sucres résiduels, des polyphénols avec leurs tanins qui jouent un rôle essentiel dans le caractère des vins rouges en particulier. Et puis des sels minéraux, des vitamines, des gaz dissous, des composés aromatiques… La Rochefoucauld dit : “ La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir  ”. Pour les hommes, partez à la découverte ! Mais, pour le vin, la quête dure depuis longtemps.

Les graves rouges sont très reminalisants par leur concentration en fer et en calcium. Ils sont recommandés dans les cas d'asthénie et de convalescence. Les sauternes font les beaux jours des estomacs irritables avec tendance à l'hyperacidité gastrique. Le saint-émilion est un préventif des problèmes circulatoires et traite l'ostéoporose. Le médoc protège du cancer du poumon.

 

French Paradox

En 1990, le magazine Health souligne que les Français sont bien moins exposés que les Américains aux maladies cardiovasculaires. De fait, la mortalité coronarienne, en France, est la plus faible des pays industrialisés, Japon excepté. Mieux ! Les Toulousains présentent deux fois moins de risques que les Lillois. Allons bon ! La santé se mérite par l'effort et une alimentation correcte. Le régime moralement pur, la simplicité frugale seront la rédemption du pécheur et de l'obèse : la culture américaine en est persuadée. Et pourtant, Dieu est heureux en France. Paradoxe français : le péché est récompensé ! Les Toulousains mangent du cassoulet, de la garbure, se gobergent de canard gras et de son foie. Ils accompagnent ces agapes de rouges tanniques, Madiran, Cahors et autres Irouléguy. Mais le gras de canard apporte moins de cholestérol que celui de bœuf ou de porc et le vin rouge, grâce au résvératrol, polyphénol salvateur, est anti-inflammatoire, vasodilatateur. Comprenez que les Aquitains et les Catalans, buvant pour leur plaisir et mangeant de même, se rapprochent du régime crétois des pays méditerranéens, prôné par les diététiciens.

 

Découvrant l'extraordinaire pouvoir anti-oxydant des polyphénols, Mathilde et Bertrand Thomas créent Caudalie, sur les terres du Château Smith Haut Lafitte. Le bien que le vin fait à l'intérieur se voit désormais à l'extérieur : teint éclatant et rides envolées. Des brevets innovants sur des molécules qu'ils sont seuls à utiliser protègent leurs produits cosmétiques. En 1999, au cœur des vignes du château, le premier spa de vinothérapie voit le jour. Luxe, calme et volupté, eau de source chaude et extraits de raisins. Tartiné, enveloppé, baigné, passé au jet, massé, abreuvé de l'infusion à la vigne rouge, vous pourrez déguster un copieux et délicieux repas à moins de cinq cents kilocalories.

 

Ça castagne le ciboulot

Une peinture murale annonce, dans un minuscule café d'Avignon, près de la halle : “ Un apéro, ça requinque les goulots et ça castagne le ciboulot ” Plus scientifique, Claude Bernard : “ Tout est poison, rien n'est poison, c'est affaire de dose. ”

Le sol, l'eau, l'air enregistrent des niveaux de pollution records. Les règles d'hygiène, les études d'impact sur l'environnement, les alertes sanitaires se multiplient. Les produits phytosanitaires, les pesticides, donnent de meilleurs vins. Évidemment, plus de mildiou dans le cabernet ! Le vin est exporté, les États-Unis pointilleux, un accident en 1990. Rassurez-vous : les contrôles montrent que les substances allergiques ou litigieuses sont largement en deçà du seuil de tolérance.

Le vin n'est pas un remède. La vérité est têtue : il contient de l'éthanol. Le vin n'a aucun effet désaltérant : plus vous en buvez, plus vous avez soif ! Á long terme, sa prise excessive dégrade les cellules hépatiques, agit sur le système nerveux, augmente les risques de cancer, fait tomber dans la dépendance. La consommation maladive est nommée alcoolisme, en 1849, par le médecin suédois Magnus Huss. L'Assommoir, d'Émile Zola, décrit ce fléau social. Actuellement, troisième cause de mortalité en France. Heureusement, la consommation moyenne est passée de 160 litres par an et habitant, en 1965, à 58 litres en 1999.

Alors ? Gardez le vin plaisir, fête des sens. Buvez du vin rouge, durant les repas, lentement, ayez un verre d'eau en permanence. Pas plus de deux verres pour un homme et, inégalité biologique, un pour les femmes. À votre santé !

 

Hélène Postel

(2006)