Les stèles des oubliés

Le mémorial du Natus, à la Teste, en Gironde

 

Pendant la Première guerre mondiale, des Africains, longtemps ignorés, sont morts de maladie au service de la France sur la lande girondine. 

 

Le 11 novembre 2018, est inauguré le mémorial du Natus, érigé sur la commune de la Teste, en Gironde. Il rend hommage à 949 tirailleurs originaires de l'Afrique subsaharienne, décimés par la maladie pendant l 'hiver 1916/17 alors qu'ils hivernaient au camp militaire du Courneau. Derrière cette réhabilitation, un homme : Mr Jean-Pierre Caule, historien local. Il se présente : « Passionné de cartophilie et curieux de nature ». Il consacre son temps de retraite à réhabiliter ces militaires que la mémoire collective a oubliés pendant de nombreuses années. 

Hivernage 

À l'origine de la création de ce camp, un constat du Haut commandement à la guerre : « les noirs » grelottent sur le front et tombent malade. C'est par centaines que les hôpitaux de campagne accueillent les soldats. Il faut les hiverner dans le sud du pays. 

Au Courneau, les travaux commencent en mars 1916. C'est l'ingénieur Adrian qui conçoit les 400 baraques de bois au toit bitumé. En six mois, une ville de garnison surgit de la lande. Elle peut accueillir 15 000 à 18 000 soldats. Dès novembre, la vie du camp s'organise, les bataillons se succèdent à un train d'enfer. Les premiers mois d'hiver sont rudes, cette année-là, il pleut beaucoup. 

Une épidémie pulmonaire se déclare. Les chiffres sont inquiétants, il meurt trois hommes par jour. Les autorités dépêchent des médecins. Des tentatives de soin échouent. Le docteur Kérandel essaie un vaccin sans résultat. Les mois s'écoulent. 

C'est Blaise Diagne, premier député d'origine africaine qui monte l'affaire à Paris, lui qui avait participé au recrutement des soldats : « Je vous demande, messieurs, de vous solidariser avec moi pour que le gouvernement se décide à évacuer les camps. » Après de nombreux atermoiements, ce fut fait à l'été 1917.

 

Jeu de piste 

Pour Jean-Pierre Caule tout a commencé par une collection de cartes postales en 1970. Il découvre au fil des documents que sa région dont il est natif a hébergé des soldats africains de la Grande guerre. En 2 000, il dispose de son temps. Il a sous les yeux de nombreuses scènes de la vie quotidienne, des visages s'imposent à lui : « Celui-là est mon préféré », on voit un soldat fier de poser. Il se questionne, lui dont la grand-mère était couturière au camp de Cazeau et dont le grand père est mort au début de la guerre.

 

« Qui sont tous ces hommes ?» Il y a bien sur le site un monument inauguré en 1966 sur les dépouilles des soldats mais aucun nom. « Pourquoi y a-t-il un arrêt d'émission des cartes à partir de fin 1916 ?» Il cherche, les journaux de l'époque évoquent une épidémie, la censure militaire impose alors l’arrêt de la diffusion des photos et cartes du camp. Sa collection s’arrête fin 1916.

 

Efforts récompensés 

Pour en savoir plus, il consulte le service documentation de la mairie. Il répertorie, à partir des registres de décès, les noms des soldats. « Cela n'a pas suffi, si les morts de l'hôpital 206 de La Teste étaient correctement définis, il n'en était pas de même pour ceux morts au camp. » 

En 2003, le site « Mémoire des hommes » met en ligne la liste des morts pour la France pendant la première guerre mondiale. Jean-Pierre Caule constate que sur sa liste papier certains noms et prénoms avaient été inversés. Commence alors un long travail de numérisation « faire un tri, analyser les redondances, rechercher, trouver, seul le matricule pouvait les identifier. » Sur chaque fiche est noté : mort de maladie. 

Son travail est enfin reconnu par l'ONAC*. 

L'inauguration des cinq stèles où figurent les noms des 949 tirailleurs a lieu le 11 novembre pour le centenaire de l'armistice. C'est tout le mérite d'un opiniâtre curieux d'avoir redonné un nom aux visages de sa collection. 

Peut-être que parmi eux, certains avaient appris ces vers, enseignés dans les écoles de leur pays. 

J'aime tendrement notre libératrice France 

Qui soutient nos parents de sa noble puissance 

J'irai au combat franchement à plein cœur 

Lutter sous les trois couleurs en vaillant vainqueur*. 

Honneur leur a été rendu !  

Danièle Garde 

 

*Office national des anciens combattants 

*Extrait du livre Un nègre en hiver Éric Joly éditions confluences.

 

Un soldat sénégalais et les 400 baraques pour héberger les soldats