Les chemins de l'exil

 

Deux jeunes Africains, aujourd’hui réfugiés à Bordeaux, racontent par quel calvaire ils sont passés pour venir de Guinée jusqu’en France.

 

Tous deux sont originaires de Guinée Conakry, tous deux ont fui leur pays pour sauver leur vie. 

Récits d'Alpha Kaba et Fassou Loua, de leur expérience sur la route des migrants d'Afrique à Bordeaux. 

Alpha Kaba, ex-exclave en Libye 

De son pays natal, il ne lui reste plus que des souvenirs. Ce pays, la Guinée Conakry, qu'il a dû fuir en laissant sa vie derrière lui un jour d'août 2013, après que, journaliste pour une radio locale, il ait reçu des menaces de mort. Le chemin du salut s'arrêtera en Libye où Alpha aura connu pendant plus de deux ans l'enfer de l'esclavage aux mains des milices locales. Libéré en 2016, il rejoindra alors la France puis intégrera l'IJBA* où il écrira et publiera son histoire. 

Nous nous sommes donnés rendez-vous place de la Victoire au centre de Bordeaux, un après-midi de novembre 

Place de la Victoire, euphémisme du lieu pour quelqu'un qui aura survécu à l'inimaginable.Son sourire et sa présence enjouée contrastent avec la dureté de son récit.

 

La Guinée, où tout a commencé 

C'est à Boké en Guinée (Conakry), que naît Alpha le 23 mars 1988, agrandissant une famille déjà nombreuse et aimante. Très tôt, Alpha aime parler, informer et choisit de s'orienter sur la voie du journalisme. Après des études secondaires, il intègre l'Université de géographie à Kankan, seconde ville du pays, puis devient chroniqueur à la radio locale Baté FM. Il mène une existence heureuse, exerçant sa passion auprès de ses proches, sa petite fille et son épouse. 

Puis un jour, tout bascule. La venue du Président de l'époque, Alpha Condé à Kankan, le 15 août 2013, est reprise dans les chroniques radio de Baté FM, qui sont alors jugées un peu trop critiques envers le pouvoir en place. Quelques jours plus tard, la radio est saccagée et Alpha, menacé de mort, est recherché. Il n'a alors d'autre choix que de fuir son pays, y abandonnant toute sa vie passée. 

 

Voyage en enfer 

C'est à moto que le jeune homme rejoint dans un premier temps Bamako au Mali, mais l'endroit n'est pas suffisamment sûr. Il prend alors un bus en direction du Burkina Faso, puis traverse le Niger et le Sahara avec d'autres migrants et arrive enfin à Alger où il s'organise afin de tenter de rejoindre l'Europe. Son voyage s'arrêtera en Libye à Beni Ulid, sur la route de Tripoli, où il est vendu par ses passeurs aux milices locales qui feront de lui et de ses compagnons d'infortune, des esclaves. 

Dans son livre, il décrit : « Là bas, on les frappe, les mutile, les électrocute et, souvent, on les oblige si longtemps à travailler qu'ils finissent par mourir de fatigue ». 

Pendant presque trois ans, Alpha subira mauvais traitements, sévices corporels et psychologiques, travaillant comme homme à tout faire dans le bâtiment et l'agriculture. Puis il change de "maître" et arrive à Sabratha, bastion libyen du trafic d'êtres humains, où il sera affranchi et parviendra à monter le 2 octobre 2016, terrorisé, sur une frêle embarcation avant de rejoindre les côtes italiennes puis la France. Pendant sa captivité, le père d'Alpha ainsi que son épouse décèderont en Guinée, ils ne se seront jamais revus. 

 

Témoigner, le combat d'Alpha 

À son arrivée à Bordeaux et aidé par des militants qui luttent en faveur des droits des migrants, il intègre l'IJBA* qui lui permet de terminer ses études. 

C'est là que l'envie de témoigner de son vécu se rappelle à lui. Avec l'aide de ses amis et plus particulièrement de Clément Pouré, il publie son récit en 2019 aux éditions Fayard dans l'ouvrage Esclave des milices, voyage au bout de l'enfer libyen 

Aujourd'hui, Alpha a obtenu un titre de réfugié politique lui laissant ainsi le temps nécessaire pour reconstruire sa vie. Il souhaite poursuivre son combat pour sensibiliser l'opinion publique contre l'instrumentalisation des migrants et continue ses témoignages auprès d'ONG et d'autres instances internationales, « pour que personne ne puisse détourner le regard ». Il a pu ainsi prendre la parole auprès d'Human Rights Watch et Médecins sans Frontières mais également à SOS Méditérranée, un acteur majeur de l'assistance d'urgence aux migrants qui dérivent le long des côtes européennes. Enfin il souhaiterait aider son pays par des actions culturelles et une lutte contre l'analphabétisme, pour davantage de liberté en Guinée. 

Alpha Kaba photographié par Léa Thomas

Fassou Loua photographié par Léa Thomas

 

Fassou Loua, menacé pour apostasie 

Lui aussi originaire de Guinée Conakry, Fassou n'avait que 20 ans lorsqu'il a quitté son pays le 19 mai 2018 parce que rester en Guinée lui faisait risquer sa vie. 

Né de confession musulmane, c'est en 2015 que sa famille choisit de se convertir au catholicisme, ce qui attirera très vite les foudres d'une partie de sa famille qui considère l'apostasie comme un crime 

Son père est assassiné en février 2018, sa mère le mois qui suit, ainsi que sa petite soeur alors âgée de quatre ans. 

« J’ai perdu mes deux parents et l'une de mes soeurs, ils étaient menacés, harcelés par les membres de la famille à cause de leur conversion et ils ont trouvé la mort. » 

 

Fuir pour vivre 

Fassou quitte Conakry le 19 mai 2018 pour une traversée de l'Afrique en direction de l'Europe en passant par le Mali puis le Niger. Arrivé dans le désert, Fassou est capturé par des milices touaregs qui l'utilisent comme monnaie d'échange, ses compagnons de route se cotiseront afin de lui redonner sa liberté. 

Puis c'est l'Algérie et le Maroc où il arrive à se glisser en pleine nuit dans un petit Zodiac, déjà occupé par 53 personnes. Deux jours de dérive cauchemardesque au milieu de la Méditerrannée tandis que certains passagers meurent sous ses yeux. Le salut viendra de la protection civile espagnole qui porte assistance à l'embarcation du désespoir. Fassou pose alors enfin un pied en Europe, puis choisit d'aller en France car il parle déjà notre langue. Il arrive à Bayonne puis à Bordeaux le 8 août 2018 où il erre dans les rues la journée et passe la nuit dans les espaces publics, faute de ressources et de contacts. 

 

Rester.. 

Fassou trouve un squat à partager avec 37 autres personnes puis dépose une demande auprès de l'association d'accueil PADA** de Bordeaux. Il obtient de l'aide à la mission locale de Pessac grâce à laquelle il effectue des formations en informatique. Il prend aussi des cours pour améliorer sa pratique du français, rédige son premier CV et une lettre de motivation pour obtenir un emploi. Mais sans papiers, Fassou ne peut pas travailler et le sort s'acharne sur lui lorsque sa demande de titre de séjour en préfecture est rejetée. 

C'est alors que la Conférence chrétienne Saint-Vincent-de-Paul de Pessac lui tend la main et lui permet de bénéficier de dons de vêtements ainsi que de colis alimentaires afin de survivre dans l'attente de jours meilleurs. 

Aujourd'hui, Fassou est en recours auprès de l'administration française pour obtenir un titre de séjour et entrevoir un avenir. Il continue à suivre des cours de français et souhaiterait reprendre un jour des études pour être journaliste. 

* Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine 

** Premier accueil des demandeurs d'asile  

Léa Thomas