Gabriel Okoundji : poète de l'oralité

 

Une poésie philosophique qui nous invite à ouvrir les yeux sur l’essentiel : l’écoute de la parole. 

 

Gabriel Okoundji reçoit L’Observatoire dans son bureau de l’hôpital Charles Perrens où il exerce la fonction de psychologue-clinicien. Sur le mur, une étole sur laquelle sont inscrits les vers d’un de ces premiers ouvrages1. L’Afrique n’est jamais très loin. Sa reconnaissance littéraire ne lui fait jamais oublier ses racines. 

 

« Vivre c’est insister » 

L’homme est sans cesse en intégration. « L’intégration permet de vous recevoir, d’avoir des liens avec mes collègues de travail ou voisins en écriture. » Pour Gabriel, s’intégrer dans le bain de la vie est essentiel. « Je suis noir de peau, mais ce noir, aujourd’hui, a la possibilité de sortir de chez lui pour aller travailler comme tout le monde. » Il poursuit en précisant qu’il est soit en « cours d’intégration » soit « intégré » en fonction du lieu où on peut l’observer. Jeune étudiant, il a milité et manifesté pour la cause africaine et pas seulement pour les Congolais. L’homme a vieilli et il préfère mettre en place ou accueillir des « initiatives plus intestines », dit-il. C’est le frère aîné ou le père qui aide et non pas seulement l’Africain qui aide un autre Africain. Il reçoit beaucoup de jeunes qui lui demandent conseil pour mettre en place des projets, notamment pour regrouper l’ensemble des initiatives économiques africaines. Cette idée de manifestions interafricaines a du mal à émerger face aux particularismes nationaux. Gabriel insiste pour énoncer que « la confrontation directe n’aboutit à rien. L’autre n’entend pas ce qui est dit car la part de vacarme ambiant l’emporte. La technique œil pour œil, dent pour dent aboutit à faire au final des aveugles et des édentés. L’écoute et la parole sont nécessaires. » Pour lui, il faut « planter les distances en convoquant l’autre dans sa part de responsabilité humaine ». Par ce chemin, on arrive à faire moins d’erreurs et cela permet de « poursuivre cette chose qu’on nomme la vie ». Dans tous ses actes il tend vers cette considération fondamentale de la parole. 

 

« Je suis né deux fois » 

Gabriel est né à Okondo, village du district de Ewo, dans la Cuvette-Ouest en République du Congo. Ses origines, familiale et ethnique, le destinaient à un avenir de Mwènè, c'est-à-dire de chef traditionnel Tégué. Il passe toute son enfance dans son village natal, élevé par sa mère et sa tante. Le régime marxiste-léniniste lui permet d’intégrer le lycée de Brazzaville. Gabriel est un « pionner de la révolution ». L’état congolais alloue d’énormes moyens financiers pour permettre à sa jeunesse, par l’éducation gratuite, de défendre les acquis de la révolution. C’est grâce à ce système que beaucoup de jeunes Congolais ont pu sortir de ce qui était au départ leur destinée (pécheur, agriculteur, artisan). « J’ai quelque peu trahi les miens en suivant un autre chemin », dit Gabriel, « mais c’est le Parti qui décidait ». Tous ceux qui avaient de bonnes notes devaient faire des études supérieures, dans les pays impérialistes de préférence, afin de montrer la réussite des pays marxistes. Pour Gabriel, ce fut la France, Bordeaux et des études de médecine. Il avait déjà écrit une poésie au Congo sur sa terre qu’il avait laissée, à laquelle on l’avait arraché. Mais cela ne passait pas car le texte n’était pas révolutionnaire. La référence était Vladimir Maïakovski, chantre de la poésie soviétique. Une fois sorti du discours et du bain d’endoctrinement, qui ne le dérangeait pas beaucoup, il a fallu penser à autre chose qu’à la révolution. Lorsqu’il arrive en France, c’est la découverte des « étoiles de la poésie » : Breton, Char, Musset, Césaire, Senghor, etc. Il lui fallait faire ses études mais le cœur était attiré par ces auteurs et son goût pour la poésie s’est affirmé. Il s’essaye à écrire quelques textes, notamment sur les vignerons bordelais. Mais il a encore mieux à donner aux autres. Alors, il se retourne vers ses origines et sa terre natale. « J’ai redécouvert la lumière de la parole et depuis, j’essaie de la récolter pour la donner à entendre à mes voisins ». « Je suis né en littérature, grâce aux Occitans » nous dit Gabriel. C’est Bernard Manciet qui publie son premier recueil en occitan, puis de fil en aiguille, les maisons d’édition vont découvrir et publier les textes de Gabriel. « Le chemin d’un humain n’est jamais linéaire, ce sont des hasards, des rencontres » qui permettent à l’homme de découvrir l’autre : « l’homme a besoin de l’homme ». 

 

« Le souffle de la parole ne désavoue pas l’écoute » 

Au Congo, Gabriel est reconnu mais pas de la même façon qu’en Europe ou ailleurs dans le monde. C’est un pays d’oralité et de spectacle. On a tôt fait de célébrer quelqu’un sans savoir réellement pourquoi on le célèbre. On parle de Gabriel au pays, parce qu’on l’a vu à la télévision mais on ne le lit pas beaucoup. On le qualifie de poète, alors, les gens sont satisfaits et le fêtent, sans savoir réellement ce que ce vocable recouvre. Gabriel va imaginer un dialogue entre ceux qu’il appelle ses maîtres. D’abord Ampili, sa tante maternelle, « tante-mère » comme il la qualifie, qui l’a élevé, « dans tous les sens que recouvre ce verbe ». Elle lui a communiqué la magie du verbe. Puis, Pampou, « le Colonel du savoir », homme plein de sagesse, riche de l’expérience que donnent les ans. Il a également transmis au poète sa connaissance et son savoir. Dans leurs villages où le stylo et la feuille n’avaient pas cours, les anciens ne se reposaient que sur leur mémoire, qu’ils avaient développée de manière prodigieuse. Gabriel va rendre hommage à cette mémoire par ce « Dialogue d’Ampili et Pampou »[1]. La parole est le mot-clef de ce livre, celui qui soutient toute son architecture. « Qui atteint le silence a atteint la parole : le monde est tout entier parole », « À chaque silence, sa parole ». La philosophie de ce recueil, c’est apprendre à percevoir l’autre versant des choses, à ne pas se contenter du recto, mais à voir, à travers celui-ci, également le verso : derrière le silence, la parole ; derrière la vie, la mort etc.[2] En 2017, ces dialogues sont mis en scène par le Théâtre de la Source, à Bordeaux. Puis c’est au Congo que le spectacle s'exporte dans plusieurs villes, notamment à Ewo, capitale du district de naissance de Gabriel. C’est la première fois qu’une troupe théâtrale se produit ici. On y vient pour célébrer Gabriel avec d’importantes marques de reconnaissance. La grande majorité des spectateurs n’a pas compris les textes - on parle le Lingala et la langue Tégué mais peu le Français - mais qu’importe, c’est un succès car c’est l’œuvre du fils du pays. Sa mère ne comprend pas Gabriel. Pour elle, un fils doit être docteur ou maître d’école et avoir des enfants. Pouvoir soigner et pouvoir instruire. Elle n’a jamais compris que son fils avait un métier. Psychologue dans ces régions africaines, ça n'existe pas : ce sont le guérisseur ou le marabout qui parlent aux ancêtres… 

« Le psychologue que je suis devenu à la suite de mes études universitaires observe l’Homme dans sa dynamique de vie et ses implications avec son environnement, conscient que l’Homme est à lui seul, un océan tout entier impossible à circonscrire ; et dans sa chute, contrairement à ce qu’il pense lui-même, ce n’est pas toujours son pied qui a tort »

 

Gabriel « Mwènè » Okoundji,

Né le 9 avril 1962 à Okondo, en République du Congo

Naturalisé français en 1998

Psychologue-clinicien à l’Hôpital Charles Perrens à Bordeaux

Délégué à la culture et santé de 2012 à 2018 au Centre hospitalier Cha&rles Perrens

Chargé d’enseignement à l’Université Michel Montaigne Bordeaux III

Officier des Arts et des Lettres en 2018

Récompenses :

Prix International de Poésie Benjamin Fondane pour l'ensemble de son œuvre, Paris 2016.

Prix International de Poésie Antonio Viccaro pour l'ensemble de son œuvre, Canada, 2015.

Grand Prix des Arts et des Lettres de la République du Congo pour l'ensemble de son œuvre en 2015.

Prix Mokanda 2014 pour l'ensemble de son œuvre.

Prix Léopold Sédar Senghor de poésie 2014 du Cénacle Européen Francophone pour l'ensemble de son œuvre.

Prix spécial Poésie de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux 2011 pour l'ensemble de son œuvre.

Grand prix littéraire d'Afrique noire 2010 pour l'ensemble de son œuvre.

Prix de Poésie contemporaine PoésYvelines 2008 du Conseil général des Yvelines pour Prière aux Ancêtres.

Prix Coup de Cœur 2008 de l'Académie Charles-Cros pour Souffle de l'Horizon Tégué, Destinée d'une parole humaine.

Prix Pey de Garros 1996 pour Cycle d'un ciel bleu.

 Jean-Pierre Ducournau, texte et photo


[1] Stèles du point du jour - Dialogue d’Ampili et Pampou - William Blake -Co. Edit.

[2] valetdeslivres.canalblog.com - 5-08-2014