Cuisine et dépendance

Le dimanche matin au marché, Abou Diop,  accompagnée de son enfant.

Photo de D. Sherwin-White

 

Parcours difficile d’une jeune femme sénégalaise, Gnagna venue en France pour obtenir un diplôme dans le tourisme et prendre sa vie en mains.

 

Place Mondésir à Caudéran dimanche matin : c’est le rendez-vous incontournable des gourmands pour le marché hebdomadaire. Là parmi les primeurs, les huîtres, langoustines, cèpes et vins bio, une jeune Sénégalaise, Gnagna, attire le chaland par son stand coloré et odorant et son joli sourire. La conversation s’engage vite : « Je m’appelle Gnagna Abou Diop et je vis en France depuis quatre ans et à Bordeaux depuis 1 an seulement et je m’y sens bien » 

Gnagna est née il y a 28 ans à Saint-Louis du Sénégal. Son père est douanier et sa mère en est la troisième épouse ! À l’âge de vingt ans, Gnagna perd un père qu’elle n’a jamais vu mais se trouve dotée de 24 frères et sœurs dont certains sont déjà à la retraite ; ils sont tous diplômés et dispersés entre la France et les États-Unis. Elle confie que son enfance a été heureuse, que les grands frères étaient là pour remplacer ce père absent dans une famille chaleureuse. 

 

Charles de Gaulle et Gaston Berger* 

Gnagna travaille bien à l’école. 

Toute sa scolarité se passe au lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis et elle y est brillante. Son bac en poche à 18 ans, elle intègre l’Université Gaston Berger en filière lettres modernes, au vu de ses excellentes notes en français alors que son choix la portait plutôt vers les langues, espagnol et anglais. Cette université créée en 1990 est agitée de soubresauts qui rendent les études compliquées. Cependant, elle obtient sa licence lettres modernes et communication car c’est ça qu’elle aime : communiquer ! 

Mais le prestige du diplôme obtenu en France reste grand au Sénégal et, bien que mariée depuis 2014 elle postule pour un master en tourisme dans plusieurs universités françaises. Son dossier est accepté à Nancy, Toulouse et Nanterre qu’elle choisit par commodité, privilégiant les études à sa vie de famille. 

 

Le tamtam 

Un peu de galère quand même, car logée en banlieue de Beauvais, le trajet (train plus RER) devient vite pénible en plus des petits boulots d’agent ou d’hôtesse d’accueil qui l’aident à vivre. 

En France, Gnagna doit valider sa 3e année de licence et a du mal à suivre les cours car ils sont plus rapides et plus difficiles qu’en Afrique. Les camarades sont tous armés d’ordinateurs et Gnagna, avec son stylo Bic, fait ce qu’elle peut. Un séjour au Sénégal, au bout de 2 ans, lui fait rater des examens et elle en revient enceinte. 

Isolée en région parisienne, son moral décline rapidement : le tamtam familial fonctionne alors et un grand frère à Bordeaux la ramène dans un giron accueillant : il la loge alors qu’il a lui-même 3 enfants. Ce frère, agrégé en droit, a aussi sa part de soucis : il avait monté une entreprise en immobilier qui ne résistera pas à la crise de 2008. Il s’est alors lancé dans une activité de traiteur qu’il exerce sur des marchés à Lacanau et Bordeaux. Comme il est actuellement au Sénégal, c’est Gnagna qui le remplace, armée de son sourire et de son amour pour la cuisine exotique. Elle nous cuisine du poulet yassa (mariné au citron avec moutarde oignons et olives), du poulet mafé (à la pâte d’arachides et gingembre avec des gombos, des patates douces et des piments) du colombo antillais ou du massala, recette indienne fameuse par son mélange d’épices. 

 

Le titre de séjour 

Gnagna a un petit garçon de 6 mois, Seydina. Elle attend son titre de séjour pour pouvoir reprendre sa vie en mains et ne plus dépendre des autres. 

Pour le moment elle s’occupe de sa maman, venue l’aider après la naissance du bébé, et de celui-ci, il est suivi à l’hôpital des enfants pour une maladie génétique très commune dans le sud du monde : la drépanocytose**. 

Gnagna est courageuse et ouverte, souriante et charmante, elle voudrait décrocher ce master dont elle rêve ou à défaut ouvrir un restaurant, pourquoi pas ? 

Mais il faudrait aussi que Seydina fasse la connaissance du Sénégal et de son papa car Whats App ne remplace pas les câlins 

Édith Lavault  

*philosophe français quarteron né à Saint-Louis du Sénégal mondialement connu pour ses études sur la prospective et père de Maurice Béjart.  

**drépanocytose : anomalie des globules rouges demandant une surveillance constante