La librairie du muguet

À l'approche de la Fête du Travail, le 1er mai, découverte d'une librairie peu ordinaire.

 

Il faut vraiment s'engager pour découvrir la Librairie du Muguet* dans le quartier Saint-Éloi à Bordeaux, dans les locaux de l'Athénée libertaire. Au fond de l'impasse, vous franchissez un portail en fer forgé et pénétrez dans une sorte de patio pour découvrir, façade framboise-lie de vin, la librairie et quelques vélos.

 

Mémoire

É l'origine, depuis 1963, ce local abritait une bibliothèque dédiée à l'histoire des mouvements ouvriers et de leurs combats, apportée par les exilés anarchistes de la guerre d'Espagne. Suite à des luttes internes et idéologiques, le fonds de cette bibliothèque est dispersé, il en reste quand même une part importante consultable sur place.

Il hébergeait aussi, dans les années 70, un ciné-club qui a laissé place aujourd'hui à une salle de débats, de concerts et un bar associatif.

 

Le livre totem

La pensée libertaire a un rapport singulier au livre, moyen d'émancipation et d'éducation, l’Athénée n'est-il pas l'endroit où les orateurs venaient lire leurs œuvres ?

La Librairie du Muguet est indépendante, libertaire et fonctionne en autogestion depuis mars 2003, les permanences sont assurées deux après-midis par semaine par des militants associatifs non rémunérés et les recettes de la librairie sont totalement réinvesties dans le fonctionnement pour couvrir les frais de déplacement d'auteurs ou conférenciers et abonder le fonds pour la bibliothèque.

Quelques mille ouvrages attendent le lecteur intéressé par des sujets spécifiques : le colonialisme, toutes les formes d'exclusion et de perte des libertés (emprisonnement, psychiatrie) mais aussi les luttes féministes, avec un parti-pris d'informer sur toutes les formes de luttes et critiques sociales, politiques, économiques, idéologiques.

Suite aux grands mouvements sociaux de 1995 en France et en 1999 à Seattle (naissance du mouvement antimondialiste qui deviendra en 2001 altermondialiste), on assiste à l'éclosion de maisons d'édition spécialisées dans les fanzines, les labels qui se font les porte-paroles des luttes sociales. La venue prochaine à la librairie de Jean-Pierre Leva ray en témoigne. Ouvrier dans une usine chimique, filiale de Total, syndicaliste, écrivain libertaire et militant anarchiste, il est l' auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont le plus connu  est Putain d'usine, mais aussi créateur d'un fanzine et label musical On a faim.

 

Ouverture

L'activité de la librairie ne se réduit pas à la vente d'ouvrages. Elle participe une dizaine de fois par an à des tables de presse dans le cadre d'événements à l'invitation  du cinéma Utopia, de Ciné Réseaux au Jean-Eustache à Pessac. Plus récemment, l'Escale du Livre a invité la Librairie du Muguet à présenter des éditeurs  comme Libertalia, L'Échappée et à organiser des débats avec des chercheurs tel Éric Fassin, sociologue auteur de Roms et riverains aux éditions La Fabrique en 2014. Des discussions sont organisées une fois par mois sur des sujets d'actualité ou historiques, comme avec Pinar Selek, militante et sociologue, exilée en France, auteure de Parce qu'ils sont arméniens aux éditions Liana Levi, 2015.

L'association Mankind, hébergée par l'Athénée, organise des concerts de musique punk et hardcore.

 

Le livre en devenir

Du fait de leur combativité, les ouvriers du livre réunis en corporation, ont toujours bénéficié d'avantages considérables par rapport à la condition ouvrière. L'informatisation, les concentrations des groupes de presse les ont largement entamés. La question de l'accès à la diffusion numérique s'est posée au sein du collectif de la librairie qui, pour le moment, la laisse en suspens. La priorité étant de pérenniser l'activité et assurer une présence auprès du public. Gageons que les générations futures se saisiront de ces enjeux.

Ce n'est peut-être pas un hasard si la librairie est située rue du muguet : le muguet est associé à la Fête du travail, rappelant la grève des ouvriers de Chicago, réprimée dans le sang le 1er mai 1886. Ce muguet, qui a remplacé au fil des ans, le triangle rouge symbole des trois revendications : huit heures de travail, huit heures de sommeil, huit heures de loisirs.

Une chose dont on peut être sûr, c'est que chaque année, le muguet fleurira.

 

Jean-Louis Deysson

 

 

* 7 rue du Muguet, atheneelibertaire.net