Le Vietnam en Bourbonnais

Quand Bouddha trône au milieu des paisibles troupeaux de charolais !

 

Au cœur de l’Allier, Noyant, un village typiquement bourbonnais n’en reste pas moins insolite. Il se situe dans un verdoyant bocage très vallonné. Le bourg est entouré de fermes d’élevage, d’une église néo-gothique, coiffée d’une flèche en pierre qui subsiste de la période romane, d’un château moyenâgeux, fief des Bourbons, de chevalements de mine désaffectée et de ses corons.

Impossible de le traverser sans rencontrer quelques personnes âgées vêtues de kimono et coiffées de chapeaux de paille coniques.

 

Hier, c’était les corons

Noyant et ses environs ont été marqués aux XIXe et XXe siècles par l’exploitation minière d’un charbon réputé d’excellente qualité. La mine a été fermée durant la seconde guerre mondiale, à la suite d’un incendie qui a coûté des vies humaines. La cité est désertée par les ouvriers venus de Pologne, les corons sont abandonnés.

Á des milliers de kilomètres de là, en Indochine, après presque dix ans de guerre meurtrière, les accords de Genève signés en 1954 mettent fin à un siècle de domination française. Le Vietnam voit le jour. Trente mille personnes, couples mixtes, enfants ou veuves de français sont rapatriés.

 

Un étonnant coin d’Asie

Pour faire revivre sa commune et accomplir un geste de solidarité, la municipalité crée un centre d’accueil. Les sept cents habitants de Noyant, durant le rigoureux hiver de 1956, reçoivent les premières familles franco-vietnamiennes qui n’ont jamais vu la France. Ils les installent dans les corons. Jean et Denise, des mémoires vivantes, piliers de l’aide, se rappellent :

« On n’avait pas la télé, on ne savait pas qu’ils étaient jaunes et bridés. Pauvres gens, ils avaient tout perdu, tout laissé derrière eux, pas de bagages mais beaucoup d’enfants ! »

« Il faisait très froid, on a allumé les poêles, on a préparé les lits. »

L’installation n’est pas facile : maisons délabrées, pas d’eau courante, la neige et le gel. Heureusement, les paysans bourbonnais, guère mieux lotis, sont là.

« Quand ils avaient besoin de quelque chose, on les aidait. On leur donnait du bois de chauffage.

Jusque dans les années 1960, mille six cents Indochinois s’installent. La réussite de l’intégration passe par l’école. Ces familles redonnent vie au village. La communale comptera jusqu’à dix sept classes. Un collège sera construit, les lycées de Moulins et Montluçon accueilleront de bons élèves. Quelle émulation pour les fils de paysans. L’attirance de l’exotisme suscita quelques frictions sur les stades de foot et dans les bals populaires…

Les rapatriés deviennent artisans ou commerçants. La plupart vont chercher du travail dans les grandes villes Les enfants restent au village avec les grands parents.
 

La petite Indochine

La plupart des hommes, anciens militaires français, sont de religion catholique, 80% des femmes sont bouddhistes, elles se recueillaient à l’église devant la vierge. Il faudra attendre vingt sept ans pour que l’ancien quartier des mineurs abrite son lieu de culte bouddhiste. Une pagode rouge et or, richement décorée, est érigée en 1983. Tout autour du temple, de multiples statues décorent le parc. Un gigantesque Bouddha doré, de plusieurs mètres de hauteur côtoie son sosie couché. Les visiteurs viennent méditer au milieu des lotus, orchidées et pivoines, bassins et poissons rouges. Un moine veille sur la communauté, c’est un lieu de pèlerinage. Le Bouddhisme vénère ses défunts, un columbarium reçoit les cendres des morts venus de France ou d’ailleurs, en été, pour une fête qui ressemble à la Toussaint. À 300 mètres de la pagode, Caroline et Thao ont ouvert Le petit d’Asie, restaurant, bar, boutique, épicerie asiatique, plats à emporter, déco, vêtements et bijoux. Aujourd’hui, la moitié des 930 habitants du village est d’origine eurasienne. Les enfants des rapatriés habitent Paris, Lyon ou dans l’est de la France. Ils reviennent aux grandes vacances pour se ressourcer. Les corons ont fait peau neuve. En été la population atteint 2 000 habitants. Un musée de la mine a ouvert et la ligne de chemin de fer, abandonnée, fait place au vélo rail.

Noyant est un point d’ancrage pour toute la communauté indochinoise. Quel bel exemple de tolérance et d’intégration ! Cela fait rêver en ces temps difficiles où l’on préfère ériger des murs plutôt que des statues.

 

Paule Burlaud