Incroyable mais vrai

L'insolitude, ça n'existe pas ? À voir.

 

Insolite : un singe en hiver, un cheveu sur la soupe, deux poux sur un crâne chauve, une photo prise dans une école de brousse au Burkina. Dans le fond un grand tableau de classe, au-dessus, une bande colorée criant : « L'apartheid est un crime contre l'humanité » Devant une multitude de petites têtes noires et trois minuscules tâches blond doré. Surprises du quotidien ou exceptions, en voici quelques échos.

 

Jeanne

Au volant de sa voiture, Jeanne fredonne et un malicieux sourire effleure ses lèvres au souvenir de son week-end bordelais. La route est droite, il fait beau, par endroits une légère brume estompe les troncs des grands pins. Tout à coup, les yeux de la conductrice s'arrondissent, se plissent, elle ralentit, scrute. Là, devant elle, au bout de la route, à la limite terre ciel, un énorme ballon de rugby aussi improbable que rutilant. La surprise passée, elle accélère. Jeanne est curieuse, elle veut voir...Elle ne verra rien. Aussi vite qu'elle était apparue, l'ellipse de feu s'est effacée. Insensé ! Mais Jeanne en aura le cœur net et sous peu elle en fournira une explication des plus convaincantes.

 

Robert

La piste de campagne, chaotique à souhait serpente entre les champs. Robert conduit avec attention son gros véhicule, lourdement chargé de bois. Depuis un moment, il suit un camion porteur d'une énorme benne protégée par un filet. La chaussée s'élève, le premier véhicule semble quelque peu s'essouffler. Il ralentit, hoquette et chaque soubresaut projette sur la chaussée des gerbes d'eau.

Soudain un éclat argenté, un autre, encore un. Sur la route des taches brillantes bondissent dans les flaques. Robert arrête son engin, se gare, descend, s'approche incrédule et repart tranquillement chercher une poche. Ce soir, la famille mangera des truites de grand chemin... C'est rare.

 

Marius B.

Septembre, la nature s'est parée de tous ses ors. La Dordogne est l'endroit rêvé pour la cueillette des cèpes. Ce matin Marius et Lidia ont quitté Casseneuil pour les forêts de Monpazier. « On y vient chaque fois que les champignons nous font faux bond en Lot-et-Garonne » À midi, leurs paniers bien remplis, rangés dans le coffre, ils rejoignent la place du village. Tout un décor ! De frais couverts et une halle en pierre à épuiser les batteries de tous les appareils photos surtout lorsque son sol se couvre de bruns bolets à l'heure du marché aux cèpes. Attablés devant un petit vin de noix du pays, ils commentent leur cueillette quand surgit un jeune garçon, pas plus haut que trois coulemelles, arborant une corbeille garnie de fougères. « Bonjour messieurs dames. Vous voulez voir mes champignons ? » Propose-t-il en écartant délicatement les feuillages. « Ramassés de ce matin. Je les vends pour acheter des cadeaux à mes frères. »Marius hésite, il a déjà une belle provision mais l'argument est touchant et l'argumenteur bien sympathique. « Comment t'appelles-tu ? » « Marius B., monsieur » « Hé bien, je les prends tous. Je m'appelle exactement comme toi ! » Impensable ! À Monpazier, un cèpe peut cacher un cousin.

 

André et Jair

Qu'il fait bon parcourir la forêt le nez au vent, son chien à portée de voix. Rêver, observer, tiens, une épeire au centre de sa toile, il va pleuvoir sous peu. Le premier coucou claironne, le printemps n'est pas loin, d'ailleurs de minuscules lézards s'enfuient sous nos pieds. Le chien s'arrête, regarde, penche la tête à droite, à gauche et fronce les sourcils. André s'approche. Par terre une étrange créature. Un serpent à deux queues. Une couleuvre grise et jaune prolongée par un autre corps plus trapu et plus sombre. Bizarre ! Un léger coup sur le serpent, les deux pièces du puzzle se séparent et s'éloignent chacune de son côté : une couleuvre furieuse d'avoir dû interrompre son repas et une salamandre ravie de revoir le bleu du ciel. Mystères et facéties de la nature.

Imaginaires généreux ? Rêves ? Réalités ? Jeanne, Robert, André, Marius et tant d'autres nous ont confié leurs moments insolites, peut-être des échappatoires à la monotonie, peut-être un peu de piment dans la vie

Dany Guillon