Le costume était trop grand

Défilés de mode, bourses aux vêtements, foires  aux fringues, le monde de l’habillement vit une période faste, l’histoire qui suit en  témoigne.

 

Retournement de la veste, un premier geste élégant (R. Peuron)
Retournement de la veste, un premier geste élégant (R. Peuron)

Patrick Isnard, jeune et brillant énarque, issu d’une vieille famille de province, entame une carrière politique fulgurante qui le conduira sur la plus haute marche du pays, une ascension ponctuée d’états d’âme et de tenues vestimentaires étonnantes.

 

L’habit de lumière

Après quelques échecs sans conséquences, Patrick, usant de combinaisons savantes et d’effets de manche, devient député, battant un adversaire chevronné à plate couture. Pour cela il dût souvent retourner sa veste, et toujours du bon côté. Quelques années plus tard, candidat à la fonction suprême, il est élu Président de la République, après une campagne où ses arguments cousus de fil blanc mettent les citoyens dans sa poche. La présidence semble lui aller comme un gant, toujours tiré à quatre épingles, le haut de forme, la queue de pie, le frac lui seyaient à merveille. Extrêmement populaire, il fascine les médias, on peut le voir en veste léopard sur le continent africain, en vareuse bleue au milieu des ostréiculteurs, en marinière apportant son soutien à l’industrie textile. Des photos du président accidenté, le bras en écharpe, font la une des grands magazines. Mais, après l’état de grâce, la conjoncture économique entraîne la crise et impose un déchirant virage social. Patrick demande  au peuple de se retrousser les manches, de mouiller sa chemise et de se serrer la ceinture, des mesures draconiennes qu’il assume totalement, prêt à porter le chapeau. Il réalise alors toute la difficulté de passer de la livrée à l’habit de lumière car la colère gronde, ses concitoyens, le moral dans les chaussettes en ont ras la casquette.

Une nouvelle génération de sans-culottes coiffés de leurs bonnets phrygiens va-t-elle renaître ? Assistera-t-on au retour des chemises rouges garibaldiennes ? Le Président, qui change d’avis comme de chemise, semble s’en moquer comme de sa première brassière, les manifestations de rue sont vite réprimées, la police nationale ne faisant pas dans la dentelle devant des hordes en haillons. Indifférent, Patrick, assis en tailleur, savoure ses incontournables pommes de terre en robe de chambre, en écoutant le Boléro de Ravel, le Pull marine d’Adjani ou plongé dans la lecture, ironie du sort, de la pièce Il faut vêtir ceux qui sont nus de Luigi Pirandello.

 

Plein les bottes

Sa vie privée s’assombrit car, sous l’influence d’un éminent homme de robe, sa fille unique prend le voile, son propre frère n’avait-il pas déjà revêtu les habits sacerdotaux ? Amer, le Président se dit bien dans ses baskets alors qu’il est dans ses petits souliers. Il éprouve un plaisir trouble à s’encanailler, fuyant le palais pour de sordides virées nocturnes. C’est ainsi que, muni d’un gilet pare-balles sous son vieux pardessus râpé, il n’hésite pas à s’en jeter un derrière la cravate avec, le débardeur qui, ivre, le saisit un soir par le paletot sous les yeux de noctambules riant sous cape. Blanc comme un linge, Patrick voit des blousons noirs vendre sous le manteau des produits illicites, lui qui s’est engagé à traquer implacablement les gros bonnets de la drogue. Coureur de jupons invétéré, le Président ne rêve que nuisette, guêpière, jarretelle, déshabillé et trouve parfois chaussure à son pied. Aussi quand Margot, la fille aux bas nylon, dégrafait son corsage, on remarque sa présence en ces lieux de débauche. L’irascible première dame n’est pas dupe et, quand il regagne le palais, il se fait remonter les bretelles, elle lui taille un costume et l’habille pour l’hiver, Patrick ne se hausse pas du col et garde toujours le petit doigt sur la couture du pantalon. Désormais, il se dégoûte, insensiblement il refuse de tout prendre sous son bonnet et se met à détester la nuée de journalistes, collée à ses basques, qui lui lèche les bottes. Il songe à sa fille, à son frère, à la sérénité de l’Église. Revêtir soutane, aube ou chasuble ? Troquer la Constitution contre l’Évangile ? Le fin politicien n’ignore pas que l’habit ne fait pas le moine. Non, le costume était assurément bien trop grand pour lui. Alors, à brûle-pourpoint, dans un sursaut de dignité, il décida de jeter le gant.

 

Claude Mazhoud