Les dessous du pavé

Parvis de l'église Sainte-Croix refait à partir de pavés de récupération (D. Sherwin-White))
Parvis de l'église Sainte-Croix refait à partir de pavés de récupération (D. Sherwin-White))

Les revêtements des artères et places de Bordeaux doivent marier des qualités techniques et esthétiques.

 

Le sol que vous foulez tous les jours est le fruit d'importantes réflexions au sein de la métropole bordelaise. Depuis les années 90, les services de la voirie, des architectes, des urbanistes, des historiens et des entreprises se penchent sur les rues de Bordeaux.

Le classement de la ville au patrimoine de l’UNESCO en 2007 a accentué l’harmonisation des revêtements pour mettre en valeur la richesse architecturale des bâtiments.

 

Glissades rue Sainte-Catherine

Pour réveiller la Belle Endormie et la rendre plus attractive, une réflexion importante a été coordonnée par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, sur commande d’Alain Juppé. La charte d’urbanisme, née de cette réflexion, encadre le réaménagement de l’ensemble des rues de la Métropole et vise à assurer une certaine qualité esthétique des matériaux utilisés. Vous verrez que les rues refaites depuis la fin du 20e siècle respectent l’alternance revêtement foncé / revêtement clair.

Le premier exemple fut la rue Sainte-Catherine, réaménagée dans les années 90. La plus longue rue piétonne d’Europe respecte le principe d’alternance des couleurs : la chaussée centrale en calcaire clair ; les chaussées latérales en grés foncé. Progressivement, l’inverse a été mis en place : la chaussée centrale, plus sujette aux salissures des voitures est foncée, les trottoirs sont clairs.

Mais, aussi élaborée soit-elle, la charte ne peut tout prévoir. Elle réserve ainsi, une fois appliquée, quelques mauvaises surprises. Qui n’a pas assisté, rue Sainte-Catherine, un jour de pluie, à la chute spectaculaire d’un cycliste téméraire ou d’un piéton étourdi ? Sylvain Schoonbaert, architecte-historien, auteur de La voierie bordelaise au XIX siècle et chef de projet à la Direction de l'urbanisme, du patrimoine et des paysages de la Métropole explique que personne n’avait anticipé que les dalles de calcaire clair seraient glissantes et salissantes et parfois fragiles : avez-vous observé les grandes dalles brisées du cours de l’Intendance ? Sylvain Schoonbaert souligne que « les architectes aiment les grands modules », mais qu’ils n’anticipent pas nécessairement qu’ils sont plus fragiles. Cela oblige à les changer plus régulièrement et engendre évidemment des coûts de maintenance importants. Les services de la voirie ont donc pris des libertés avec les préconisations afin de trouver un équilibre entre esthétisme, usage et coût.

 

Environnement préservé

Durant le 20e siècle, les chaussées étaient recouvertes d’asphalte, mélange de dérivés du pétrole et de fragments de roches. Avantages non négligeables : ils sont moins chers que les pavés, moins bruyants et plus résistants aux passages des véhicules lourds qui circulent en ville (camions de pompiers, véhicules de livraison…).

Néanmoins, ils sont plus polluants à la fabrication, difficiles à recycler et ils empêchent le ruissellement de l’eau, favorisant les risques d’inondation.

Depuis les années 90, le nouveau mot d’ordre de la Métropole est de construire mieux. Sylvain Schoonbaert explique : « Le pavé est un matériau plus durable et naturel. L’asphalte est plus énergivore mais pratique et moins coûteux. Pour des raisons financières, le pavé est utilisé sur les bordures (des voiries), dans les petites rues et les rues piétonnes. »

 

Neuf et ancien

Les pavés en terre cuite ou en céramique des quais ou de la place Saint-Michel viennent principalement d'Espagne. Les pavés de grés, présents majoritairement dans les réaménagements récents de la ville, viennent de toute l’Europe.

Pourquoi ne pas faire appel à des entreprises françaises ? M. Schoonbaert répond que la loi impose que les travaux réalisés par les villes donnent lieu à des appels d’offre transparents et interdit de favoriser une entreprise nationale au détriment d’une entreprise de l’Union Européenne. Les critères qui priment sont donc le prix et la qualité des pavés.

« Nous essayons d’utiliser des pavés locaux mais il est très difficile d’en trouver : les entreprises françaises d’extraction n’existent plus ! Les pavés historiques venaient de Dordogne mais toutes les entreprises ont disparu » précise Sylvain Schoonbaert. La Métropole privilégie donc la réutilisation et fait du neuf avec de l’ancien. Le parvis de l’église Sainte-Croix, refait à partir de pavés – dit Napoléon – de récupération, est ainsi un des lieux touristiques incontournables et met en valeur ce haut lieu culturel bordelais.

 

 

Marion Stauri