La demoiselle de fonte

Sanna (photo de M. Depecker)

En 2013, le sculpteur Jaume Plensa exposait à Bordeaux. Sa statue Sanna, acquise par un mécène, est toujours présente place de la Comédie.

                                                                          

Seul témoin du parcours urbain de fer, de bronze et de résine installé pour 4 mois à Bordeaux par le créateur Jaume Plensa, Sanna tourne le dos aux Muses du grand Théâtre depuis 5 ans. Les œuvres mystérieuses du Catalan ont invité les promeneurs à la méditation et à la contemplation. Paula et Sanna trônaient devant la Cathédrale et place de la Comédie, en fonte de fer, matériau de prédilection de l’artiste depuis ses débuts en 1980 à Barcelone. Elles ont subjugué par leur légèreté. Les deux jeunes filles gardaient les yeux fermés car « comme dans un rêve, les choses se passent à l’intérieur » explique l’artiste. Sanna reste de « fonte » devant le flot d’indifférents ou d’admirateurs qui coule encore chaque jour à ses pieds.

 

Percer un message

Plensa utilise des matériaux de récupération, fer, bronze, cuivre et les transforme en grandes sculptures en rapport avec la terre, les roches et le magma.

Puis il introduit la lumière, ses têtes deviennent ajourées, ouvertes. Il nous fait participer à sa passion des mots (l’artiste a grandi entouré de textes) qui deviennent les matériaux même de sa sculpture ; lettres et chiffres, découpés au laser, sont soudés sur une forme moulée ou sculptée dont elles épousent la silhouette. Qui n’a pas cherché à s’assoir dans la House of Knowledge, place de la Bourse ou essayé de pénétrer Les Pensées, place Fernand Laffargue ? L’Autoportrait, de la place Camille Jullian, présentait une figure enveloppée dans une mappemonde constituée d’éléments de langage « Une lettre seule n’est rien. Plusieurs forment un mot, une phrase, un texte. L’alphabet est la meilleure définition d’une culture. Les langues rassemblent. Plus on est différent, plus on est intéressant. C’est, je crois, la plus grande richesse de l’homme. » pense l’artiste.

Ses têtes au maillage métallique, dans la cour du Palais Rohan, se situaient entre présence et absence, laissaient à voir l’âme et nous obligeaient à regarder pour percer leur message. C’est l’essence de son installation actuelle au Palais de Cristal du Musée de la Reine Sofia à Madrid Invisible, un groupe de 3 têtes suspendues dans l’air l’espace et le temps. L’installation Heart of trees avec 7 bronzes assis dans l’herbe au Jardin public bordelais incarnaient la communion de l’homme et la nature : chaque personnage entourait de ses bras et jambes un arbre vivant, entièrement recouvert des noms des musiciens préférés de Plensa.

 

Construire la beauté

Depuis 2006 et son installation magistrale à Chicago de The crown Fountain, Plensa utilise la 3D pour tester les possibilités et la résistance des matériaux. Ces dernières années, l’artiste s’est tourné vers la résine, le verre fondu ou l’albâtre, le verre de Murano ou le basalte.

Sur la rive droite, durant cette exposition bordelaise, 4 drôles de personnages blancs, perchés sur leurs mâts d’acier ont contemplé la façade des quais avec flegme. Allumés de l’intérieur avec des lumières cinétiques, les œuvres passaient doucement d’une couleur à l’autre, établissant un dialogue avec les promeneurs. (Nice en a 7 se faisant la conversation sur la Place Masséna). Pour la Biennale de Venise, en 2016, Plensa a réalisé un ensemble de têtes en albâtre d’une beauté renversante, une main constituée de lettres et une tête monumentale en maillage métallique.

Il travaille en étroite collaboration avec six artisans et des ateliers spécialisés dans le bronze, la fonte, la pierre, la résine, la fibre de verre pour la réalisation de ses projets longuement mûris. C’est dans sa ville natale au Musée d’Art Contemporain de Barcelone que se déroule actuellement la plus grande rétrospective de son œuvre depuis ses débuts en 1980 ; elle laisse la part belle à l’autre facette de Plensa, une considérable œuvre sur papier, essentiellement dessins et collages en rapport étroit avec la sculpture, tout ceci mettant en évidence son énergie et sa recherche de la beauté dans l’originalité.

 

Édith Lavault

Sanna  (photo de D. Sherwin-White)