Éditorial

Au sud, l’arche de la MÉCA et les rondeurs de l’Arkéa Arena. Au nord, les volutes de la Cité du Vin. En recherche d’un phare symbolique et faute d’avoir bénéficié d’un totem comme le Guggenheim de Bilbao, le nouveau Bordeaux s’est offert trois majestueux sémaphores. Autant de repères immanquables dans le paysage des années Juppé qui disent que la culture doit s’inscrire, et pas seulement de manière symbolique, dans le paysage urbain. Mais aussi que la frénésie qui a accompagné le réveil de la ville a débordé le champ de l’aménagement urbain pour atteindre l’espace culturel. 

Les Bordelais n’ont évidemment pas attendu le XXIe siècle pour goûter aux délices du bouillonnement créatif. Il suffit de rappeler l’effervescence du rock bordelais dans les années 80, et, concomitamment, les exaltations de Sigma, pour s’en convaincre. Ou de se souvenir des expos scandales du CAPC, ou de certaines productions pharaoniques de l’Opéra.  

Aujourd’hui, celles et ceux qui ont succédé aux Lafosse (Sigma), Froment (CAPC), Lombard (Opéra) celles et ceux qui façonnent les nouveaux lieux culturels sont volontairement moins flamboyants. Il s’agit surtout d’investisseurs éclairés, plus mécènes que financiers, qui affirment leur foi dans l’avenir de la ville avec des réalisations qui, en d’autres temps, eussent été l’apanage des pouvoirs publics : le Musée Mer Marine, la Grande Poste etc. Mais on trouve aussi, des créateurs solitaires, des duos imaginatifs, des bandes inventives. Éditeurs et éditrices, libraires, photographe, peintre, grapheur, gamers, toutes et tous ont en commun de participer à l’apparent désordre de ce décor créatif en mouvement. 

À la différence des nouveaux monuments fétiches de la métropole bordelaise, ces acteurs ne s’exhibent pas au grand jour. Certains donnent des rendez-vous discrets, se dissimulent dans des repaires modestes, exigent parfois le mystère. Même dans la lumière ils gardent une part de dissimulation, comme si l’affichage de leur personne n’était plus la condition sine qua non de l’existence. Mais c’est pour laisser la lumière à leurs réalisations. 

Il y eut, l’art conceptuel, l’arte povera, l’art moderne. Le temps est peut-être venu de l’art modeste.

 

Jean-Paul TAILLARDAS