Des chevaliers blancs

L'escrime : un sport, un art, une science, un jeu, un combat, une philosophie ou un plaisant spectacle ?

Respect de la devise : "Rompre n'est pas fuir" (E. Gassiarini)
Respect de la devise : "Rompre n'est pas fuir" (E. Gassiarini)

Les escrimeurs, vêtus de blanc immaculé, symbolisent l'élégance, la bravoure et le sens de l'honneur hérités des traditions chevaleresques. Il semble que lors des compétitions, quand les armes n'étaient pas électriques, le choix du blanc permettait une bonne visualisation des touches car le tireur trempait la pointe de son arme dans une poudre rouge. L'escrime, sport olympique avec 115 médailles depuis sa création en 1896, compte 65 000 licenciés, 100 000 pratiquants, 750 clubs dont celui de Pessac où L'Observatoire se présente.

 

Un entraînement soutenu

Dans la vaste salle d'escrime, 14 apprentis escrimeurs entre 12 et 30 ans, parité totale, s'échauffent en courant un quart d'heure autour de la piste, certains en blanc, d'autres en jogging. Au centre, Michel, le maître d'armes impose la répétition des techniques apprises, cadencée, sans arme. Jambes fléchies, buste droit, bras arrière relevé, les déplacements feutrés s'enchainent suivis d'attaques, parades, ripostes en lignes parallèles, de dos, de face. La fatigue de la concentration se lit sur les visages après de multiples simulacres d'assauts. Pause, on se rafraîchit.

Puis tous enfilent leur tenue blanche, masque fixé, sabre en main, sérieux. Salut et le ballet commence sous les rappels et directives constants de Michel : « En garde, bras allongé, fléchissez davantage les jambes, faut que ça fasse mal ! Attaque là, au ventre, au flanc, à la tête ! Allons, accélération du rythme ! » Il corrige, montre comment esquiver, toucher, parer, se fendre au maximum. Les lames se croisent, cliquettent, les tireurs soufflent, rompus mais heureux. Au bout de deux heures, le salut respectueux clôt la leçon.

Qu'est-ce qui les motive ? Louis 25 ans : « Arrivé très tard, j'ai toujours aimé les cadets de Gascogne, c'est une discipline complète, associant corps et tête », Anne, 12 ans : « J’ai vu les championnats du monde il y a 4 ans, ça m'a emballée, en vrai garçon manqué j'adorais me battre, l'escrime me fait grandir. » Yan, 13 ans interrompt : « Moi, j’avoue, je voulais ressembler à Zorro, quel virtuose ! » Pour Louis : « C'est familial, mon père et ma sœur pratiquent l'escrime, je m'y suis mis à 5 ans, c'est un beau sport avec une super ambiance. »

Tous vont se changer.

 

— Maître Michel Lambart, pourquoi avoir choisi l'escrime ?

— Militaire à l'École des Armées, école interarmées des sports, à Fontainebleau, j'exerce comme moniteur des sports. Les cadres se renouvelant tous les ans, je dois donc être muté je ne sais où, dans une autre unité de la marine. Rester ici, continuer mon idylle avec ma future épouse, comment ? Passer une maîtrise d'armes. Après quatre cours d'escrime, admis à l'examen probatoire, j'obtiens au bout d'un an de formation le diplôme de prévôt d'armes puis l'année suivante la maîtrise, me voici cadre formateur. Marié, affecté à Santé Navale à Bordeaux, responsable du service des sports quatre ans, j'enseigne également l'escrime aux élèves médecins de Santé Navale. Au mess, le maître d'armes Henou me dit : « Tiens, si tu veux, j'ai du monde au club de Pessac, toi tu es sabreur, moi plutôt fleuret et épée, viens. »

Depuis 1972, je suis au club, je n'ai cessé qu'un an pour aller entraîner les équipes nationales du Venezuela, à mon retour en 1976, la mairie de Pessac m'offre un poste d'employé municipal, costume, cravate, bureau, trop monotone. J'ai donc exercé comme directeur du centre de loisirs de Romainville en y prodiguant des cours d'escrime ainsi qu'aux enfants des écoles primaires de Pessac. Maintenant, à 62 ans, je savoure ma retraite en continuant d’enseigner ce sport toujours avec la même passion.

 

— Monsieur Bosc, quel est votre rôle comme président du club ?

— J'ajoute que Michel est sans doute le seul maître d'armes bénévole depuis neuf ans en France. Il y a 15 ans mon fils de huit ans rentre du centre de loisirs de Romainville en lançant : « Je veux faire de l'escrime.» Je l'inscris donc au club de Pessac où le fils d'un collègue s'entraîne. Séduit, je fais de même l'année suivante, vite passionné je participe à quelques compétitions, seulement pour le plaisir. De fil en aiguille j'intègre le bureau directeur du club. Bénévole depuis 15 ans, je viens systématiquement tous les mardis et vérifie en semaine le courrier, les dossiers. J'embauche très tôt à l'hôpital dans le service de consultations et termine à 16h. Je peux ainsi cumuler mes fonctions de vice président du comité départemental et sportif d'escrime de la Gironde, membre à la commission critères de l'Office Municipal des Sports de Pessac et du comité directeur du S.P.U.C (Stade pessacais union club.)

 

— Comment fonctionne le club ?

Le président. Bien, actuellement nous avons 84 licenciés, 59 garçons, 25 filles. Nos moustics s'initient pendant deux ans avec de petites tenues flexibles, sabre et masque en plastique, ensuite les poussins, pupilles, benjamins, minimes, cadets et juniors progressent jusqu'à 20 ans. Dès leur début, on récompense leurs mérites avec le blason jaune, rouge, bleu, vert. D'ailleurs le blason bleu soit deux ans d'escrime minimum leur permet de se présenter en compétition nationale. Mais l'équipement de l'escrimeur revient cher, nos bambins grandissent vite, le club doit acheter exclusivement le matériel à la Fédération qui fixe les prix. Alors nous louons à nos aspirants. La tenue blanche de 400 euros se loue 37 euros. Le club vit essentiellement des cotisations, cela s'avère difficile, il mène une lutte de tous les jours à la quête de subventions.

 

— Quelles qualités développe l'escrime?

Michel. L'entraînement permet d'acquérir endurance, vitesse, souplesse, agilité. Un bon escrimeur doit pouvoir analyser l'action adverse, la contrecarrer, aller au-delà de lui-même, savoir se concentrer. Il accepte toujours une invitation à l'assaut, respecte les décisions de l'arbitre, sait arbitrer aussi, maîtrise sa mauvaise humeur, ne provoque pas de corps à corps ou bousculade. Surtout il apprend le respect dont toute notre société a besoin. Á l'origine sport militaire, il faut du courage, du sang froid car il s'agit avant tout de toucher l'ennemi sans se faire toucher. Nos élèves possèdent ces qualités, leur mémoire, leur sens de l'équilibre s'améliorent vite. L'escrime forme l'homme dans sa totalité, Lafaugère, célèbre tireur français, professeur aux Hussards de la Garde Royale sous Napoléon, a écrit très justement : « Sa tâche est de mettre à profit les qualités de cœur, du corps et de l'esprit. »

 

— Peuvent-ils choisir leur arme?

Michel. Au temps de la noblesse, les gentilshommes maniaient les trois armes blanches : l'épée, le fleuret et le sabre. Le fleuret, léger, moucheté était l'arme prisée par les mousquetaires en entraînement dans les salles d'armes, ils ne touchaient que le buste. Pour l'épée, arme de duel, la plus lourde, les touches portaient sur tout le corps. Avec le sabre les coups se donnaient au-dessus de la ceinture par la pointe, le tranchant, le faux tranchant et ils tapaient également très fort! Ces règles sont toujours valables.

Aujourd'hui, la vulgarisation de l'escrime, la multiplicité des clubs, les calendriers démentiels des compétitions imposent le choix d'une seule arme. Le club choisit en fonction des maîtres d'armes à sa disposition. Au bout de 20 ans d'enseignement, je me suis aperçu que les jeunes sollicitent le sabre, plus ludique et facile à maîtriser. Notre juvénile maître d’armes Olivier fait découvrir l'épée et le fleuret. Nous sommes fiers d'accueillir depuis quatre ans des handisports qui nous donnent de belles leçons de ténacité et rigueur, dommage que les handifix soient si onéreux! (5 100 euros l'un).

Quel enfant n'a vibré et ne vibre encore aux prouesses des héros de films de cape et d'épée Les Trois Mousquetaires, Fanfan la Tulipe, Scaramouche, Le Masque de fer, la Fille de d'Artagnan ? Souvent nos champions se sont identifiés à eux. Ils savent que le succès est le fruit d'une farouche détermination et d'un labeur acharné. Maureen Nisima, championne du monde à l'épée ce 8 novembre au Grand Palais confie : « C'est la médaille de la rage, vous ne pouvez pas savoir comment j'en ai bavé pour en arriver là. C'est un truc de dingue mais ça m'a rendue plus forte. » Les bretteurs du club de Pessac suivront-ils son exemple ? Certainement.

 

Le club pessacais dynamique et motivé (E. Gassiarini)
Le club pessacais dynamique et motivé (E. Gassiarini)

Pierrette Fulcrand