Arômes des tropiques

« C’est dans la gueule qu’on met l’tafia. Oula ! Oulala ! » (Le port de Tacoma, chant de marin repris par Hughes Auffray)

 

La cave à rhum, Chaleur antillaise, 44 cours A.France à Bordeaux (A. Blanchet)
La cave à rhum, Chaleur antillaise, 44 cours A.France à Bordeaux (A. Blanchet)

 

Le premier novembre 2010, 85 marins, professionnels ou amateurs, se sont lancés comme des morts de soif au départ de la Course du rhum. C’est Franck Cammas, sur son trimaran géant Groupama, qui a franchi le premier la ligne d’arrivée. Cependant le record de cette prestigieuse course transatlantique en solitaire reste détenu depuis 2006 par Lionel Lemonchois, en sept jours et dix-sept heures. Nul ne doute que parmi les lots du vainqueur et de tous ceux qui sont arrivés à Pointe-à-Pitre, figuraient les meilleurs rhums de la Guadeloupe.

 

Une boisson d’homme de mer

C’est à la fin du XVIIe siècle que le rhum fut inventé aux Antilles. Si beaucoup attribuent au Père Labat la paternité du rhum, pour d’autres il n’a fait qu’en perfectionner la distillation. Ce missionnaire dominicain fait partie de la litanie des saints hommes qui ont œuvré pour adoucir le séjour des mortels sur cette terre, à défaut d’apporter le salut de leur âme. Il préconisait le rhum à des fins médicales, mais les biens portants lui trouvèrent nombre de vertus.

À cette époque d’or de la flibuste et des guerres franco-anglaises, tous les gens de mer, qu’ils soient gentilshommes de fortune, marins du Roi, de sa Gracieuse Majesté ou des galions espagnols, adoptèrent le rhum. On l’appelait alors tafia. Plus tard, c’est dans un baril de rhum que l’amiral Nelson, vainqueur posthume de Trafalgar, fut mis en bière jusqu’à son retour en Angleterre. Au port, on constata que le niveau du liquide avait baissé. Freinte de route*, part des anges ou soutirage de matelots irrespectueux ?

Exporté vers l’Afrique où il servait de marchandise d’échange dans le commerce triangulaire, c’est au XIXe siècle que le rhum se popularisa en France, tant et si bien que la République offrit généreusement un verre de rhum aux condamnés à mort. Un dernier pour la route ! Mais quel était ce rhum ?

 

Il y a rhum et rhum

Chaque année, le port de Bordeaux reçoit plus de 6 000 tonnes de rhum des Antilles, de la Réunion et de Cuba, en citerne ou conditionné, transporté essentiellement par l’armement CMA-CGM. La majorité de ce trafic est destinée à Bardinet. Cette société bordelaise créée en 1857 est devenue le premier négociant européen de rhum.

« Il existe deux procédés d’élaboration du rhum. » explique Bénédicte Bertet, responsable de la gestion des liquides chez Bardinet. « Plus de 90 % sont issus de la mélasse, sous-produit de la fabrication du sucre de canne, après fermentation de celle-ci et distillation. Ce sont les rhums industriels ou de sucrerie. L’autre procédé, utilisé essentiellement aux Antilles françaises et à la Réunion, consiste à distiller le jus fermenté de canne à sucre pour produire des rhums dits agricoles aux saveurs très différentes des rhums de sucrerie. Seule la Martinique bénéficie d’une AOC. À la sortie de l’alambic, le rhum est incolore. C’est le vieillissement en fût de chêne qui le colore, trois ans minimum pour le rhum vieux, quelques mois pour le rhum paille, à moins que ce ne soit l’ajout de caramel comme pour ceux destinés à la pâtisserie. Au niveau mondial, la consommation des rhums blancs est la plus importante car ils sont utilisés pour les cocktails. »

Il existe aussi des rhums blancs, vieillis en fût, qui doivent leur absence de couleur à un filtrage. Le plus connu est élaboré par Bacardi. Cette société, créée à Cuba en 1862, dont le siège a été transféré aux Bermudes, est devenue la multinationale du rhum.

Si vous voulez tout connaître sur le rhum, voyez Sandy Zamord. Ce Martiniquais passionné propose dans sa cave, Chaleur Antillaise**, les meilleures bouteilles des Antilles, de l’Amérique latine, de l’océan Indien, du Pacifique et d’ailleurs. Pour lui : « Les rhums blancs antillais ont une saveur fruitée et sucrée d’autant plus intense que leur degré est élevé alors que les rhums latinos et britishs sont moins forts. Le rhum c’est comme le vin, il reflète les terroirs. »  

 

René Sarrazin