Les flonflons se sont tus

La Belle Époque puis 1936 et les congés payés marquent un tournant décisif dans l'essor de loisirs nouveaux, ainsi les guinguettes et les dimanches au bord de l'eau.

Le mot guinguette vient-il d'un mauvais vin blanc, le guinguet, ou bien de Pierre Guinguet, cabaretier de Ménilmontant ? Débat inutile quand on mesure l'extraordinaire popularité de ces bords de Seine et de Marne, immortalisés par une pléiade d'artistes.

 

Le bal musette

Dès la fin du XIXe siècle, de simples débits de boissons se transforment en guinguettes, on y propose une cuisine simple et des petits bals bon marché. Les citadins profitent du chemin de fer pour fuir Paris et rejoindre le Val-de-Marne, ses activités nautiques et ses rives ombragées. Familles, ouvriers, étudiants déferlent par centaines à Nogent, Joinville-le-Pont, quelques bourgeois viennent s'encanailler, des mauvais garçons se fondent dans la foule. Sur les pistes, la bourrée auvergnate cède la place au musette, un accordéon souvent accompagné d'une batterie et d'une contrebasse, le bal musette est né.

On vient guincher, polka, valse, java, tango avant l'arrivée du paso-doble ou de la rumba, on y déguste force moules-frites et éperlans. Les influences anglo-saxonnes et le rock vont amorcer le déclin des guinguettes. Pourtant, comment oublier la belle Simone Signoret, Casque d'or, valsant dans les bras de Serge Reggiani, Jean Gabin chantant Quand on s'promène au bord de l'eau, Bourvil et son À Joinville-le-Pont, le célèbre Ah ! Le petit vin blanc, tant d'images traduisant l'ambiance exceptionnelle des bords de Marne. Zola y trouve l'inspiration, les maîtres de la photographie Robert Doisneau et Willy Ronis sont conquis par la grâce des danseurs et le vert des frondaisons. Bien sûr, la guinguette de l'île du Martin-Pêcheur à Champigny et le mythique Chez Gégène à Joinville maintiennent la tradition mais c'est un monde en sooffrance.

Quand au musette, sa grande prêtresse, la rousse Yvette Horner est atteinte par la limite d'âge, tout un symbole.

 

Trompe-l'œil

Plusieurs établissements des bords de Garonne, de Gironde ou de l'Isle, revendiquent l'appellation guinguette et sur la rive droite de Bordeaux, quelques restaurants, sur des sites pourtant privilégiés, ne soutiennent pas la comparaison avec leurs modèles d'Île-de-France. Chez Alriq se rapproche de ce statut mais des fermetures après des contrôles sanitaires, puis une liquidation judiciaire ont freiné ses ambitions. Chez Quinquin, à Macau, serait crédible, il propose, outre sa cuisine de terroir, des trogues, les éperlans girondins, des esquires, crevettes blanches de Garonne ou des étrilles, petits crabes du Bassin, manquent musique et danseurs. Les archives girondines évoquent les guinguettes de Lormont, du XIXe siècle jusqu'à l'après-guerre, les Bordelais en faisaient leur destination du dimanche. Les Gondoles, les Abeilles et les Hirondelles, petits bateaux à vapeur formaient alors une flottille incessante, colorée et gouailleuse selon Florence Mothe dans Toute honte bue. Aloses, graton et vin blanc étaient à l'honneur.

 

Sauvegarde du patrimoine

L'association Culture guinguette à Bry-sur-Marne fait revivre l'histoire des guinguettes pour promouvoir ce patrimoine festif et culturel. Ainsi, pour Christine De Klerk, Chez Gégène reste une véritable institution et le seul établissement qui n'ait jamais fermé depuis son ouverture en 1918, il a conservé ses décors des années 1950 et ses terrasses en bord de Marne, les moules-frites y sont toujours reines, bals et repas dansants agrémentent les samedis soir et dimanches midi, le rock y bouscule souvent le musette.

Les bords de Rhin semblent relancer la tradition, une Miss guinguette vient d'être élue à Strasbourg. Si le temps semble s'être arrêté sur les bords de Marne, les inconditionnels ne se font guère d'illusions, les thés dansants et les concerts supplantent les bals populaires. Alors, l'initiative de l'association est louable, mais la nostalgie n'est plus ce qu'elle était, dirait Simone…

La chanteuse réaliste Damia se rendit célèbre en interprétant La guinguette a fermé ses volets, on lui préfère cette supplique d'Alain Barrière : « Ah ! Si l'on pouvait retrouver les guinguettes, dimanche au bord de l'eau ! »

 

Claude Mazhoud