Comme un poisson dans l'eau

Cabane sur pilotis déployant son filet au dessus des flots (photo D. Sherwin-White)

Comme un poisson dans l’eau

Du même nom que le poisson, le carrelet, ce filet rond ou carré, souvent perché sur pilotis, tendu au dessus des flots, actionné par des treuils, fait partie du patrimoine fluvial.

Jean-Luc  Pascouaou  se souvient de sa première rencontre avec le fleuve, aux alentours des  rives d’Arcins. A cette époque quelques constructions de bois seulement en guise de galerie marchande, agrippées sur les berges, déployaient déjà leurs frêles embarcations au bout de planches suspendues.   

Des cabanes et des hommes

Ce lien affectif qu’il entretient avec la Garonne le conduira quelques années plus tard à bâtir son carrelet, dans le Sud Gironde, du côté de Podensac.

Ces pontons de bois, parfois vermoulus, qui racontent de belles histoires, de pêches miraculeuses, de rencontres heureuses, aux couleurs de gueuletons festifs, en famille ou entre amis.

La tradition reste forte en Gironde puisque l’on dénombre encore plus de 900 carrelets répartis sur la Garonne, la Dordogne et l’Isle.

 Cet endroit, il va le façonner à son goût, pour en faire un lieu propice aux meilleurs des auspices, entouré de sa bande de copains, pêcheurs eux-aussi devant l’éternel. Il y a Philippe et Momo, les fidèles « Bastot », Patrick et le petit JP.

Au bord de l’eau, dans cette résidence secondaire, entre ciel et fleuve, à deux kilomètres de chez lui, il en oublia même un jour de reprendre le travail. Dans ce lieu préservé des tempêtes il goûte le plaisir des levers de soleil, la lumière qui éclaire au printemps le Château des Ducs d’Epernon, « on dirait qu’il est habité ».

Il y a les couleurs, qui varient selon la palette des saisons, les odeurs, les reflets qui lui font revendiquer la paternité du miroir d’eau. Ils n’ont rien inventé à Bordeaux « ça existait déjà ici à l’état naturel ».

« Un fleuve plein de vie »

Gardien d’un domaine dont il assure l’occupation et l’entretien, il scrute les marées au fil des mascarets, ces ondulations du fleuve qui amènent parfois quelques surfeurs à l’heure du souper.

Comme il s’en passe des choses sur ces bords de Garonne, inutile « de bouger d’ici car le spectacle est toujours différent ».

Un jour c’est une barge transportant des morceaux d’un Airbus A 380, ce monstre marin, sorte de baleine volante transporté en morceaux par les flots, avant de rejoindre les cieux.

Une autre fois, c’est le spectacle d’un esturgeon en chasse qui lui fait écarquiller les mirettes dans le sillage du prédateur « un spectacle impressionnant ». Ou encore ce souvenir d’une otarie égarée, « sorte de sous-marin venu explorer les eaux troubles de la région ».

Parfois on ressent le parfum des brises océanes avec l’iode qui se dégage, et transporte avec elle les effluves marines, à tel point « qu’on se croirait en pleine mer ».

Un refuge au dessus des flots

Cet endroit est avant tout « un lieu de partage », souvent pris d’assaut pour des repas qui n’en finissent pas. Ils étaient 84 à poursuivre la noce au lendemain de son mariage.

Aussi quelques chasseurs qui viennent s’abriter lorsque le temps est mauvais, des promeneurs des gens égarés ou simplement venus pour une escale.

Ici, inutile de prévenir, l’accueil est simple mais chaleureux.

Claudie, la femme du marin reste au port et veille au grain. Celui qui s’annonce, parfois mauvais, lorsque le vent se lève, mais l’amarre est solide.

Le maître mot « se faire plaisir », d’ailleurs l’endroit porte un nom, comme une façon d’interroger le passant : « On n’est pas bien là » !

C’est vrai qu’on y est bien dans ce petit coin de Gironde, paisible, au bord du fleuve dont la course immuable nous entraîne parfois aux rêveries bordées de hamac et de chaise longue, aux voyages immobiles au long cours et aux siestes baignées de pêches extraordinaires.

En attendant il est l’heure de relever les « bourgnes » ces nasses dans lesquelles viennent  s’égarer quelques anguilles, aloses ou lamproies. Parfois bredouille, mais l’essentiel n’est pas là, ce qui compte, c’est le calme et la nature qui sont ici « chez eux ». Toute cette beauté à préserver dont « nous ne sommes que des témoins privilégiés ». De toute façon ce qu’il préfère Jean-Luc c’est le sanglier, alors vous comprenez les bourgnes vides ça ne l’inquiète pas.

Et puis il sera là demain, sans faute pour profiter encore d’une journée de pêche, comme quand il était gamin, déjà, sur les bords de Garonne.

 

Eric Boulanger