L'immigration espagnole

Le vieillissement des immigrants nous invite à un devoir de mémoire

 

De tout temps l'Aquitaine fut une terre d'accueil des persécutés religieux, politiques, économiques, des juifs sépharades pendant l'Inquisition aux Joséphins exilés des guerres carlistes jusqu'aux Républicains vaincus de la guerre d'Espagne.

« À Bordeaux, l'influence espagnole commence à se faire sentir.Presque toutes les enseignes sont en deux langues;les librairies ont au moins autant de livres espagnols que de livres français.Beaucoup de gens hâblent dans l'idiome de Don Quichotte et de Guzman d'Alfarache », rapporte Théophile Gautier en 1881, dans son ouvrage « Voyage en Espagne-Tras los montes ».

 

L'Espagne à Bordeaux

« En 1955 on dénombrait 30000 Espagnols à Bordeaux, dans les années 60 ils étaient 60000, ils ne sont plus que 8000 aujourd'hui.Que sont-ils devenus ?Ils sont français.Deuxième et troisième génération, sans nostalgie.L'intégration s'est particulièrement bien passée, parce que les grands-parents, les parents sont arrivés en France sans espoir de retour. » nous indiquent Maria Santos-Sainz et François Guillemetaud dans leur ouvrage « Les Espagnols à Bordeaux et en Aquitaine ».

A Bordeaux, ils se retrouvent dans le quartier Saint Michel, les Capucins, le cours Victor Hugo ne s'appelle t'il pas « la route d'Espagne »?Saint Michel quartier d'exclus et d'immigrés, riche en couleurs, mais unis dans la pauvreté..

Les enfants d'immigrés, francisés, n'ont jamais autant revendiqué l'appartenance à la double culture .Car au delà d'une double identité, c'est la référence à la culture qui prime :être de là-bas.

Revenir au pays d'origine, là où les parents en ont été empêches.

Le nombre d'enfants qui deviendront professeurs d'espagnol en atteste : perpétuer la langue.Parler espagnol les unit, les réunit, les conforte, les réconforte .

L'appartenance à un peuple défait, « Los Rojos, los Vincidos », « les Rouges, les Vaincus » primait sur les engagements politiques antérieurs. Les gens se côtoyaient et se rencontraient, au delà des idéologies.

Lors des événements de 1968, la situation de révolte populaire a ravivé les plaies et les blessures de l'histoire de la guerre d'Espagne.Les luttes internes de stratégies à développer entre communistes, trotskistes, anarchistes, républicains se sont invitées à la mobilisation et au combat.Au sein même de chaque organisation, des dissensions sont apparues.Les figures de Durruti, La Pasionaria, l'ombre de Lorca y étaient convoqués.Aujourd'hui les passions sont apaisées.

 

Une histoire douloureuse

Il n'y a pas eu une émigration, mais des immigrations successives au gré des conflits religieux, politiques, économiques en Espagne.

Entre les deux guerres, de nombreux espagnols s'installent dans les centres urbains en Aquitaine où ils représentent alors 6% de la population régionale.

La défaite républicaine entraine la Rétirada de quelques cinq cent mille réfugiés espagnols(souvent des femmes et des enfants) vers les ports d'Aquitaine et la frontière.

Dans l'après guerre, à partir de 1955 on assiste à une nouvelle vague massive d'immigration espagnole.Ce sont des migrants jeunes, qui ne feront venir leur famille que plus tardivement.Ils participeront pendant deux décennies à la production industrielle, aux grands travaux d'infrastructure, au développement de l'agriculture et de la sylviculture.Ils se répartissent pour moitié dans les villes et l'autre à la campagne.Pendant cette période, la croissance démographique de l'agglomération bordelaise est davantage due aux migrants qu'à la natalité.

A partir de 1975 (mort de Franco) la vague migratoire va décroitre à mesure du développement économique et de l'évolution du régime politique espagnol.On observe en même temps un vieillissement de la population immigrée, trois immigrés espagnols sur cinq ont plus de 60 ans.

L'apport original de l'immigration espagnole est d'avoir créé de véritables quartiers espagnols à Bordeaux et d'avoir tissé des liens d'accueil, de rencontre et d'entr'aide(El Solar).

Mais les immigrés espagnols forment des groupes sociaux différents suivant leur appartenance d'origine migratoire. L'appartenance à la communauté culturelle espagnole ne fait pas l'économie de sa propre identité.

 

Jean-louis Deysson

 

Source : Histoire et mémoires des immigrations en Aquitaine

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