Goya des ombres et des lumières

De Bordeaux ou d’ailleurs, Goya est à la fois un génie et une énigme

 

Goya de l'ombre avec les Peintures noires des murs intérieurs de la Casa del sordo, Goya des Lumières pour ses affinités avec les Ilustrados, Goya des mystères, qui était-il vraiment ? Militant libéral ou seulement esprit libre, Goya enfin, à Bordeaux, mais pourquoi ?

 

Goya à Bordeaux

Toute la vie de Goya comporte des zones d'ombre. Proche des Ilustrados, empreint des idées des Lumières, il accepte de peindre pour la Cour qu'il dénigre par ailleurs. À l'arrivée de Joseph Bonaparte, il croit en une évolution vers plus de liberté et devient un « josephiste » sans toutefois renier son attachement à son pays. Certains le taxent d'Afrancesado, lui, sait ne point trop en faire pour ne s'attirer les foudres de personne. Ferdinand VII revient et avec lui l'étouffement des Lumières et de toute liberté. L'Inquisition est rétablie. Goya s'offusque mais garde la faveur du roi qui lui donne et lui conservera la charge de Peintre de la Chambre. Alors pourquoi vouloir quitter l'Espagne ? Certes, la peinture de la Maja desnuda a quelque peu alerté l'Inquisition mais le peintre a des protections et quand il souhaite partir, c'est au prétexte de prendre les eaux. Et oui, parti pour les eaux, il s'installe à Bordeaux. Encore une contradiction. En fait il boira surtout du chocolat avec son cercle d’amis en exil. Arrivé en septembre 1824 à 76 ans, c'est un homme fatigué, malade et sourd mais accroché à la vie. Très vite il est rejoint par Léocadia Weiss, âgée d'une quarantaine d'années et accompagnée de ses deux enfants Guillermo et Rosario. Encore un mystère, qui était Rosario ? La fille d'Isidro Weiss ou celle de Goya ? À en juger par l'attitude et les écrits du peintre à son égard, il semblerait bien qu'elle soit sa fille. À partir de là, l'artiste arpente Bordeaux, découvre avec bonheur les quais et les quartiers populaires, rejoint ses amis dans les cercles de lecture, se rend au cirque que Léocadia affectionne et même parfois au théâtre avec Moratin, en dépit de la surdité qui l'isole. Même si Franscisco de Goya n'est pas vraiment un authentique artiste local comme le disait J. Chaban-Delmas, sa mémoire continue de hanter tant de lieux dans la ville.

 

Les fantômes de Goya

Il s'installe d’abord à l'hôtel Quatre parties du monde, rue de l'Esprit des Lois, face au Grand-Théâtre. Peu après, il loue un appartement cours de Tourny. De là, il parcourt les rues et vit au rythme du cœur de la ville. Mais sa maladie le perturbe, il recherche le calme. En 1825, il choisit une échoppe avec jardin, 10 rue de la Croix Blanche, en 1827 il en occupe une plus vaste au 13 de la rue St.Seurin, appelée Allées d'Amour. Il aura loisir d'y observer guinguettes, cabarets, couvents et exécutera trois dessins comportant des moines. La même année, Goya emménage dans un vaste appartement au troisième étage d'un immeuble, situé 39 Fossés de l'Intendance, où vivent déjà deux espagnols J.M. Irigoyen et P. de Molina. Il y meurt le 12 avril 1828. Aujourd’hui cet immeuble accueille l’Institut Cervantès. Les fantômes de Goya rodent encore dans sa chocolaterie favorite tout comme au n°46 de la place des Martyres de la Résistance où il termina La laitière de Bordeaux. Mais était-ce lui? Mystère. Son souvenir habite aussi la stèle du cimetière de la Chartreuse, la rue Goya et la superbe statue en pied offerte par la ville de Madrid.

 

Les désastres de la guerre

Malraux a dit de Goya qu'il était le précurseur de la peinture moderne mais pas seulement de la peinture. Le Goya du musée Jean Moulin n'est pas un fantôme, il nous jette au visage les désastres de la guerre. C'est un reporter, un photographe. C'est l'instant, le moment de l'horrible, la cruauté extrême. Dans les conflits, aux yeux de Goya, ou plutôt entre ses doigts il n'y a ni bons ni méchants, mais seulement violence, bêtise et sauvagerie. À son époque, comme à la nôtre, la guerre est présente et ses images sont les mêmes que celles que nous renvoient chaque soir les médias. C'est noir comme ses eaux fortes, noir comme ses dessins. Pour lui, c'est l'enfermement dans l'erreur.

Goya est donc revenu à Bordeaux pour y pousser un cri d'alarme. Mais a-t-il jamais quitté la capitale de l'Aquitaine ? Certes son corps n'est plus au cimetière des Chartreux pourtant il a laissé le souvenir du génie, de l'ilustrado, de l'observateur affuté, de l'homme au chapeau, de l'artiste frustré par sa surdité et aussi de l'afrancesado comme on le surnommait parfois.

Dany Guillon

 

Goya à Bordeaux : film de Carlos Saura

Les Fantômes de Goya : film de Milos Forman

Les désastres de la guerre : titre de l’Exposition au centre jean Moulin.