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Querelle

Il en est de futiles, de sourdes ou d'intestines ; il en fut de célèbres qui méritèrent la majuscule, mais

« Il n'y a pas de petite querelle comme il n'y a pas de petit incendie » dit-on en Afrique.*

Qu'on l'appelle chicane, algarade, démêlé, conflit, empoignade ou polémique, qu'elle ait lieu en famille, au bureau ou à l'Assemblée Nationale, la querelle égratigne ou déchire, déchaîne les passions ou les invectives et sera prétexte à éternelle fâcherie ou à tendre réconciliation.

L'atelier de journalisme n'échappe pas à la règle et a connu récemment « sa » querelle.

 

L'abécédaire de la discorde

En mai, l'atelier tient séance et prépare déjà sa rentrée d'octobre. B., la fondatrice pose la rituelle question qui fâche : « quel thème pour le prochain numéro ? » Le silence assourdissant qui lui répond l'amène à lire une fois de plus la liste de toutes les élucubrations déjà proposées et ajournées. Pas plus de succès avec ces fonds de tiroirs. « Et si on fabriquait un abécédaire ? » lance C.

Les réactions fusent : « Oui, sympa ! » « C'est quoi ? » « Tous les articles commenceront par la même lettre ? » « Mais, non ! » « On n'est pas 26 ! » « Oh, quelle contrainte ! » « Pas du tout, libre à chacun de choisir sa lettre et son sujet » « Moi, je ne veux pas du W ! » C. insiste « c'est le numéro du 25e anniversaire de l'atelier, innovons, sortons du cadre, faisons preuve de créativité, crénom ! »

Un discours qui effraie les purs et durs (hors du thème, point de salut) mais séduit les autres puisque le projet est adopté à la majorité des présents.

 

Controverse

Juin, autre séance de brainstorming avec quelques journalistes de plus, absents lors du vote, mais ayant bien lu le compte-rendu « C'est quoi, cette idée ? Pas de thème ? Mais, c'est renier tous nos principes ! Nous sommes un groupe de journalisme, pas un atelier d'écriture ! » tonne M, très remontée. « Elle a raison ! » approuvent les battus du vote. « La décision a été prise démocratiquement » font remarquer les vainqueurs. Les esprits s'échauffent, les positions se tendent, les deux camps se comptent ; du jamais vu en comité de rédaction ! Dans un gros effort de conciliation, M. propose : d'accord pour un abécédaire,

mais sur le thème du journalisme, alors »

Remous dans la salle, pour ou contre, on affûte ses arguments « Trop nombriliste » « Cohérent... » « Pas drôle... » « Fidèle à notre démarche... » « A comme attentats et O comme otages, peut-être ? »

On est au bord de l'implosion quand, avec une grande sagesse acquise lors de nombreuses réunions professionnelles, une voix s'élève « Reportons la décision à la rentrée, les vacances nous permettront de réfléchir... » Ouf !

 

Tout est bien qui finit bien...

Début octobre, reprise de l'atelier, effusions, anecdotes de vacances, accueil des nouveaux. Mais la bonne humeur se fissure vite quand l'abécédaire revient sur le tapis. Hélas, l'été n'a pas apaisé les esprits : partisans et adversaires du sujet libre s'affrontent de nouveau. Quelques transfuges font profil bas tandis que d'autres se radicalisent. On voit même J.L., si calme et souriant d'ordinaire, faire une sortie théâtrale en déclarant « Puisque c'est comme ça, j'ai bien envie de tout laisser tomber ! »

Non, non, pas ça, surtout ! Il devient urgent de s'entendre. Arrive alors, mal ficelé mais salvateur, le sacro-saint compromis : de A à Z, chacun sera libre d'écrire ou non sur le thème du journalisme.

Les « orthodoxes » respirent, les « dissidents » se consolent... La cohésion du groupe a été préférée à la cohérence du journal. Vous avez le résultat sous les yeux et l'atelier se porte bien.

N'est-ce pas un heureux dénouement pour une querelle ?

  

 Claudine Bonnetaud

 

*Amadou Hampâté Bâ : « Il n'y a pas de petite querelle » (Stock)


Cioran : "Après une bonne querelle, on se sent plus léger et plus généreux qu'avant."

C.Dantzig : "Quand il y a querelle entre les Anciens et les

Modernes, choisissez les Modernes, c'est vous."

J.Heywood : "Mieux vaut arriver à la fin d'un repas qu'au début d'une querelle."