De mère en fille

Henriette et Nathalie ont eu des jumeaux, l'une en 1946, l'autre en 1996, elles témoignent de leur vécu à deux époques différentes.

La louve capitoline, musée du Capitole à Rome et Castor et Pollux

 

Les jumeaux ont de tout temps occupé une place particulière dans la société nourrie par l'imaginaire, les peurs et aussi l'ignorance. Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, différents secteurs de recherche ont levé le voile sur la vie intra-utérine et sur le relationnel des enfants conçus et nés en même temps. Pour les plus anciens, souvenez-vous, dans les salles de classe, des êtres identiques qu'aucun signe distinctif ne pouvait différencier ; même coiffure pour les filles, même couleur de vêtement, toujours proches, la fascination et le mystère entouraient ces enfants.

Un premier courant de pensée a vu le jour dans les années soixante, résumé par l'injonction faite aux parents « Dégémellisez ! » R. Zazzo* conseille que chacun grandisse en s'individualisant.

 

Portraits.

Henriette est une dame âgée qui a passé sa vie dans un village proche de Bordeaux de façon besogneuse et surtout avec difficulté pendant la seconde guerre. Elle a eu des jumeaux, deux garçons, en troisième position, nés comme souvent à cette époque à son domicile. Elle n'a pas travaillé pour se consacrer à la vie de sa maison. Nathalie est sa fille, la petite dernière des cinq enfants. C'est une femme active qui vit dans la banlieue bordelaise. Elle a donné naissance à deux garçons après avoir eu une fille.

 

Paroles et souvenirs

Henriette : Je savais bien que cette grossesse était différente des précédentes mais la sage-femme n'entendait qu'un cœur.

C'est en 1975 qu'est apparu l'échographie dont l'étymologie fait à la fois référence à la nymphe Écho et à l'écriture, grande avancée car depuis, les parents voient le fœtus, au début en deux dimensions, actuellement en trois dimensions.

— Après leur naissance, ils sont allés à l'hôpital pendant des mois, ce fût très douloureux.

L’Observatoire : Comment s'est passé l'enfance de vos garçons ?

— L'un d'eux était très insupportable, à l'école, à la maison, et même adulte il a eu des problèmes.

Henriette est fatiguée, le dialogue est écourté. Nous avons regardé quelques photos jaunies de ses fils qui, quel que soit leur âge, sont la réplique l'un de l'autre.

Nathalie : Quand j'ai su que j'attendais les garçons, ma mère était très inquiète, je la rassurais en permanence, moi j'étais confiante.

Comment expliquez-vous cette attitude ?

— Je crois qu'elle revivait la grossesse de mes frères, à son époque elle attendait un enfant, pas deux, moi, j'ai su très tôt les nommer par leur prénom selon leur position dans mon ventre. »

Les fils de Nathalie sont actuellement de jeunes hommes, ils ont des trajectoires professionnelles et affectives différentes, mais ajoute-t-elle « Ils se contactent chaque jour, organisent des moments entre eux, les petites copines ne comprennent pas toujours. »

De quelle anecdote de l'enfance vous souvenez vous ?

Ils avaient 4 ans, nous étions chez des amis, l'un d'eux ne voulait pas dire au revoir, ils sont allés se cacher sous la table, ont échangé leur anorak, personne a vu la supercherie, nous avons bien ri ! 

Qu'est ce qui a été difficile selon vous ?

— Je garde une grande amertume à l'égard du système scolaire, leur évolution étant plus lente que la moyenne, ils ont été stigmatisés, on nous demandait de les séparer. »

Qu'avez-vous fait ?

— J'ai attendu qu'ils soient prêts, à 9 ans ils ont changé d'école pour deux classes différentes, ils l'ont très bien vécu. »

 

Henriette et Nathalie, mère et fille de jumeaux livrent deux expériences différentes criantes de vérité. Témoignages de deux époques éloignées qui rendent compte des évolutions sociétales et de leurs influences sur le relationnel cependant laissons la parole aux parents : Nathalie : « Les parents en font l'expérience, l'entourage imagine. »

 

Danielle Gardes

 

 

*Le paradoxe des jumeaux René Zazzo éd. Stock