Cafés de toujours

Survolez l’histoire des cabaretiers.

Une décoration du début du XXe siècle pour le bar Castan (D. Sherwin-White)
Une décoration du début du XXe siècle pour le bar Castan (D. Sherwin-White)

 

Matin de novembre, matin de Toussaint : nuages, vents coulis et éclaircies subites. Un rayon de soleil ? Tous les clients de chez Castan courent à l’extérieur : c’est un tropisme bordelais bien connu. Voulez-vous un vin chaud ? Epicé, sucré, délicieux ! Edgard Morin le dit bien, : « Le bistrot c’est l’oasis.  » Le verre de rouge est devenu le rite universel de la communication.

Vous arrivez de la Place de la Bourse : un peu compassée dans ses atours mais fière et digne. Vous êtes aux premières loges pour vous arrêter dans le temps et faire une pause au XVIIIe siècle.

 

À toutes les époques

Hammou-rabi, célèbre pour son code lisible sur une stèle du deuxième millénaire avant J.-C., disait : « Si une marchande de vin de datte avec sésame accueille des émeutiers et ne les amène pas au Palais, alors elle sera tuée. »

Puis, peu de renseignements jusqu’à l’époque romaine. Les Gaulois boivent-il de la cervoise tiède ? Toujours est-il que Jules César s’occupe, lui aussi, de contrôler fermement les débits de boisson.

Comme les autres ports français, la ville a profité du développement extraordinaire du commerce atlantique de l’Amérique espagnole et de l’Amérique du Nord. Elle a su aussi accaparer le meilleur du trafic colonial en cultivant les relations avec l’Europe du Nord. Imaginez six-cents bateaux mouillant devant ce Bordeaux animé et enrichi par la vente du « bois d’ébène ». Il n’y a pas de quais : gabarres et barques font la navette pour atteindre les cales. Dans un vacarme incessant, les tonneaux roulent sur le pavé. Les marins, portefaix, manœuvres, charretiers, commis des négociants mais aussi, colporteuses et vendeuses à la criée se démènent en bord de Garonne.

 

De cabaret en goguette, de caboulot en estaminet

La rue du XVIIIe est toujours grouillante de monde. Vous évitez une poissarde et son bagout pour trébucher sur un maçon et son échelle. On se donne rendez-vous au cabaret. Tous les corps de métier s’y retrouvent. C’est le salon du pauvre : la plupart des familles logent dans une seule pièce, souvent non chauffée et mal aérée. Les hommes sont majoritaires bien que des femmes soient cabaretières. Les Compagnons du devoir, qui effectuent leur tour de France, sont en pension et la cabaretière est leur mère. Les hommes qui sont pays aiment aussi se grouper : c’est le cas des maçons limousins. Le cabaret est un havre. On y est accueilli, on y est en compagnie, on s’y querelle et les rixes sont fréquentes. En 1784, il y avait environ trois-cents débits de boisson. N’oubliez pas que les propriétaires peuvent vendre, jusqu’à épuisement, la récolte de l’année. Mais aussi, les négociants venus du froid, les Allemands, les Suédois introduisent le goût de la bière: il y a même quelques brasseries et estaminets.

Lieu de rencontre convivial, les dérapages sont multiples. La philosophie de comptoir peut mener à l’émeute.

Aussi, le fonctionnement des cabarets est-il soigneusement codifié et encadré. Cela étant, on y dansait fort souvent et Buffon ajoute : « Le jeu est ici la seule occupation, le seul plaisir. » On peut penser qu’il n’aimait guère danser.

 

Du concert à la mort 

De nos jours, il n’y a plus guère de café concert mais des cafés philo, des cafés tricot et 40% des français vont dans un café au moins une fois par mois. À cette occasion, ils engagent un dialogue avec le patron ou le serveur, pour 84% d’entre eux, et avec des inconnus pour 71%. À Londres, il y des cafés vélos : café et rustines. Mais surtout, rappelé par un sociologue et ethnologue suisse, un café mortel. Du temps de mes parents, au lendemain de leur noce, ils préparaient le vin et le fromage pour la fête de leur mort. Dans le tiroir d’une commode, ils préparaient tout le nécessaire pour le jour de leur décès. C’était le tiroir de la mort. Que ce tiroir ne nous empêche pas de jouir de la vie !

 

Hélène Postel