La machine à lire

Sous les voûtes de pierre, la Machine à Lire est un lieu où l’on flâne à la recherche d’auteurs, d’histoires qui font rêver et réfléchir, qui émeuvent et distraient.

 

Hélène était cliente de la librairie, elle en devient en 2008 le chef d’entreprise ; elle récidive avec deux autres commerces culturels : Harmonia Mundi, rue des Remparts, qu’elle achète en 2012 et qu’elle rebaptise La Machine à Musique en gardant à ses côtés Jean Claverie, le disquaire historique et reprend également la maison de la presse de son quartier qu’elle nomme, désormais comme une évidence, La Petite Machine.

 

De l’insertion à la librairie

Héritière d’un grand cru classé de Saint-Émilion, Hélène de Ligneris préfère choisir une autre voie : pendant 20 ans, elle dirige une entreprise d’insertion qui permet à des personnes exclues de revenir vers l’emploi grâce à la peinture en bâtiment. En 2007, contre son gré, le château familial est vendu. L’héritage lui permet de racheter en 2008 La Machine à Lire. De la lutte contre l’exclusion à la librairie, un grand saut mais des valeurs communes, pense-telle, accueil, transmission et partage.

C’est en 1979 qu’Henri Martin et Danielle Depierre donnent naissance à La Machine à Lire 13, rue de la Devise. Entreprise plutôt risquée dans le centre historique de Bordeaux, à l’écart des rues les plus commerçantes. Ils se donc installés, en 1996, place du Parlement sur 300 m2, au rez-de-chaussée d’un immeuble du 17e siècle. La nouvelle attractivité des quais de Bordeaux, le déménagement et le nouveau logo rouge furent salutaires : doublement du chiffre d’affaires en quelques années. Hélène de Ligneris et son équipe de 9 salariés s’efforcent de perpétuer, avec les moyens techniques d’aujourd’hui, le rôle historique joué par la librairie : œuvrer à la diffusion de la pensée et de la création littéraire dans toute sa diversité. Mais elle souhaite être très lisible, sans couleur politique et accueillante pour tous les publics.

 

Un métier exigeant

Sous les belles voûtes de l’établissement, le lecteur trouvera des auteurs choisis. Avec ses libraires, Hélène réalise une sélection drastique, les livres restent trois mois sur table, puis sont renvoyés à l’éditeur s’ils ne se vendent pas ou gardés dans le fond. La rentabilité est nécessaire mais elle est loin d'être le seul but. « La librairie doit être aussi un lieu social d'échange, un lieu d'ouverture au monde et de réalisation de soi. » Dans ces conditions, l'équilibre financier est surtout un moyen de continuer à garder sa place dans l'univers bordelais du livre où, à côté du géant Mollat, elle se distingue entre autres, par la qualité de son offre en sciences humaines et par des choix très volontaristes et assumés de mise en avant de certains auteurs moins connus. Depuis 2008, la librairie est restée fidèle à cet esprit. « Tous les livres qui entrent ici, nous les choisissons », souligne Hélène, qui, sans refuser l'accès du magasin aux bestsellers, se garde bien de les mettre en avant. Le superbe local voûté a été restructuré pour permettre d'accueillir plus de monde aux rencontres et débats avec les écrivains. On peut exister en étant petits et indépendants mais en maintenant la personnalité du lieu.

 

Un combat sans fin

Très présent désormais en France, Amazon ne réalise que 7 à 8 % des ventes de livres mais avec des délais de livraison ultra-courts ; aussi, le client n'accepte plus d'attendre. La lutte est difficile sur un marché en léger recul. « Ce sont nos concurrents directs (...) C'est un combat de tous les instants », s'inquiète Hélène de Ligneris. Quant au livre numérique, c’est encore un secteur balbutiant (environ 2% du marché) mais  « un marché qui démarre, le jour où il décollera, l'effet sera rapide. Il ne faudra pas partir trop tard »  analyse Denis Mollat.

Protégé par la loi Lang du prix unique, le réseau français des librairies, l'un des plus denses au monde, représenterait encore plus de 40% des ventes de livres dans l'Hexagone. Pour maintenir son niveau d’activité, La Machine à Lire, comme Mollat, développe la vente en ligne (18 % des ventes totales environ).

Mais le principal atout de cette librairie réside sans doute dans les services offerts : accueil dans un bel espace, proximité et participation à la vie du quartier, calme et convivialité, conseil de lecture et invitation des auteurs.

Marie Depecker