Créon 700 ans

Une semaine pour fêter ses 7 siècles d'existence, la bastide de Créon a vu grand ! 

 

À l'initiative de l'association Créon 700 ans, soutenue par de très nombreux partenaires publics et privés, les Créonnais ont revécu la naissance et l'histoire de leur cité du 11 au 16 mai. L'apothéose des festivités a été le son et lumière du samedi soir pour lequel tous se sont activés dans la fièvre et la bonne humeur.

Gros plan, à J 4, sur les coulisses de l'exploit...

 

Une gageure

Comment évoquer 700 ans d'histoire en 70 mn de spectacle ? C'est Jean-Luc Delage, comédien et metteur en scène professionnel qui a relevé le défi et nous en parle : « Jean-Marie Darmian, ancien maire de Créon et féru d'histoire de sa ville, a imaginé un scénario basé sur 4 événements marquants pour la bastide : sa création en 1315, la venue de Louis XIII en 1625, l'élection du 1er maire en 1790 et celle de la 1ère rosière en 1907. À partir de cette trame, j'ai écrit des dialogues et une partie narrative, contée par une voix off qui est la mémoire collective de la ville. Ce récit sera appuyé par des projections vidéo sur la façade de la mairie, orchestrées par mon ami Bernard Maciel de Eclipsonic. Le spectacle est composé de 4 tableaux vivants dans lesquels évolueront 180 acteurs, des attelages et des animaux dans des décors et dispositifs scéniques évoquant les différentes époques. J'ai voulu donner un aperçu de la vie quotidienne en mêlant activités, métiers et classes sociales mais aussi une idée de l'état d'esprit de la ville. Nous savons, par exemple, que Louis XIII n'a pas reçu un accueil délirant et que l'élection du 1er maire s'est tenue dans le chœur de l'église, c'est tout dire ! De très nombreux bénévoles ont souhaité tenir un rôle dans cette rétrospective. Il m'a fallu repérer, choisir, faire des groupes en fonction des talents et motivations de chacun : agir, parler, se montrer, se faire remarquer...

Chaque tableau dure de 9 à 12 mn, sur un tempo soutenu et c'est, comme sur la toile d'un peintre classique, une multitude de petites scènes qui se jouent en même temps. Et je ne parle pas de la gestion des animaux ! J'incarne Amaury de Craon, le fondateur de la ville qui arrive à cheval portant une cotte de maille de 15 kg et cela me préoccupe un peu... Mais tout est en place et les répétitions s'enchaînent avant la générale en costumes de vendredi.

D'ailleurs, à propos de costumes, je vous emmène à l'atelier faire la connaissance de Nicole et de ses petites mains. »


L'atelier en folie

Dans le vaste atelier de couture, au-dessus de l’épicerie solidaire, règne un joyeux bazar de tissus brillants, de costumes colorés ou immaculés, de pantalons et robes en cours d'exécution, de chapeaux de tous les styles. La dizaine de couturières bénévoles s'active et s'interpelle. Au milieu, siège, dé à la main, souriante et placide en apparence, Nicole Ponsenard, la responsable de cette petite entreprise éphémère. Depuis février, elle ne vit que pour et par ce projet qui a envahi son esprit, ses jours, ses nuits et toute sa maison qui n'est plus qu'une gigantesque penderie ! « Imaginez, dit-elle, que malgré l'apport de costumes du Moyen-Âge par l'Association des fêtes de La Sauve, c'est 600 pièces que nous avons créées. » Il s'agit bien de création car Nicole a fait beaucoup de recherches sur Internet, à travers des tableaux anciens, avant de présenter au metteur en scène deux prototypes de vêtements par période, par genre et classe sociale. Puis ces modèles ont été adaptés à la morphologie des acteurs (« ah ! La galère de la programmation des essayages ! ») et personnalisés par le choix des tissus, des coloris, des finitions : dentelles, galons, rubans, jabots, ceintures… « Le plus compliqué a été le XVIIe siècle, dit-elle, avec la suite royale à habiller, mais j'ai aussi peiné à marquer chaque époque pour les paysans et les ouvriers, la chemise ou la blouse ne se portant pas toujours de la même façon. Il a fallu aussi tirer parti du maigre budget, dénicher de beaux tissus pas chers au marché Saint-Michel, adapter, recycler, faire preuve d'astuce pour les accessoires... Robes, blouses, tabliers, jaquettes, hauts de chausses, culottes bouffantes, tuniques de mousquetaire mais aussi charlottes, bonnettes, fichus, chapeaux, sacs, bourses : Nicole et ses petites mains ont tout coordonné pour le réalisme historique et la beauté du spectacle. Le résultat est stupéfiant. Et on sent ici la fierté de « la belle ouvrage ».Nicole ne dort guère, avoue-t-elle mais, soutenue par son mari (« merci, merci, André ! »), elle réalise là, « l'œuvre de sa vie »

 

Les indispensables anonymes

Sylvie, jeune retraitée, coud à l'écart, tranquillement. Pas de stress pour elle, c'est une habituée de la bataille de Castillon où, humblement, elle a tout fait : villageoise, marchande, lavandière, ramasseuse de morts après l'attaque. Samedi, elle sera encore l'un des 180 maillons de cette chaîne du succès. Elle ne recherche pas la lumière des projecteurs, elle est venue, avec sa bande d'amis œuvrer pour le même but, partager et donner de la joie, le temps d'un spectacle. Le côté éphémère ne la dérange pas, elle sait qu'elle participera encore, ailleurs, à la concrétisation d'un autre rêve. Elle « y trouve son compte comme la majorité des bénévoles. » La majorité ? « Oui, ajoute-t-elle malicieusement, tout le monde ne vient pas avec la même motivation, faire ou se faire voir, ce n'est pas pareil. Imaginez, 38 postulants pour 6 rôles dans la suite royale, pour porter un beau costume ! Peut-être 32 frustrés qui accepteront mal de faire partie de la piétaille et de ne pas être vus par le beau-frère ! »

Malgré cette petite banderille, Sylvie est sûre de la cohésion de l'ensemble, de la force des éléments moteurs, de la pertinence de la mise en scène et s'apprête à vivre, une fois de plus, un grand moment d'exaltation et de partage.

 

PS : Le spectacle a été à la hauteur des espérances de Sylvie et Nicole peut être fière aussi !

La place, entourée de ses arcades, était comble. Musique, lumières, projections, évolutions, tout s'est parfaitement déroulé. Beauté, émotion et humour étaient mêlés, pour ce superbe voyage dans le temps qui a trouvé son apothéose dans une scène hautement symbolique.

Monsieur Gachet, maire de Créon, du balcon de l'hôtel de ville, a remis les clés de la bastide à Mattias Créon, citoyen allemand, qui n'est autre que le descendant du fondateur Amaury de Craon

1315-2015, la boucle était bouclée et rendez-vous fut pris pour le 800e anniversaire !

 

Claudine Bonnetaud