Le prédateur devenu proie : la lamproie

D. Guillon
D. Guillon

Ma mère m'appelait son petit lamproyon, Horace, fin gourmet et poète a chanté dans ses vers, la Petromyzon Marinus, aujourd'hui, en tronçons dans votre assiette, vous m'appelez lamproie, mais me connaissez- vous bien ?

Moi un poisson ? Absolument pas – ni poisson, ni sangsue, même si parfois je suis très collante – impossible de m'assimiler à ces engeances utiles certes mais assez ordinaires. Je fais partie de la famille des céphalospidomorphes, excusez du peu mais lorsque vos ancêtres remontent à 300 millions d'années, vous avez, je pense, droit à certains égards et même à une grande notoriété.

 

Par mer et par fleuve

Donc, je suis née il y a environ 9 ans dans le lit préparé par ma mère entre les cailloux du lit de la Garonne, un beau lit d'ailleurs, 30 à 40 cm de diamètre, creusé à l'aide de sa ventouse. Je n'étais ni très belle ni très grosse, 10 petits millimètres et même pas d'yeux. Mieux valait me cacher et m'enfouir dans les sédiments où mes ouïes m'ont permis de me nourrir en filtrant les micro- organismes environnants. Au bout de 4 ans avec l'arrivée de l'été je me suis mise à grandir,, une longue nageoire a poussé sur mon dos un étrange disque est apparu au bout de mon museau et j'ai découvert l'eau irisée, les poissons, les végétaux aquatiques, j'avais des yeux. Forte d'une bonne dizaine de centimètres j'ai entrepris dès l'automne d'aller visiter la mer. La route allait être dure. Qui pourrait m'emporter pour cette longue « dévalaison » ?. Une lotte d'eau douce allait et venait aux alentours. Je fixai habilement mon disque buccal sur mon hôte, mes dents s'incrustèrent, décapèrent la peau, le sang et autres substances vitales arrivèrent jusqu'à moi : le vivre et le couvert assurés. Un jour, d'étranges lueurs ont pénétré l'eau. Remontée vers la surface j'ai aperçu une grande tour qui clignotait, c'était Cordouan, l'eau était plus verte et   plus salée, j'avais atteint la mer. Au diable mon bienfaiteur, il commençait d'ailleurs à se fatiguer de la situation. J'ai vite trouvé un remplaçant, un petit mammifère marin qui m'a supportée et sustentée presque deux ans. J'ai vécu une vie de légendes et de mystères. Devenue une adulte de belle taille: 90cm, silhouette de gros serpent, minuscules yeux, énorme bouche en forme de ventouse, j'ai croisé une nuit un jeune Monsieur Lamproie qui d'une oeillade ravageuse m'a invitée à effectuer avec lui la remontée aux sources du fleuve et de la vie. Nous voilà partis, portés d'abord par la grande vague qui se glisse dans l'estuaire, nous avons aperçu les quais de Bordeaux, ceux de Langon, ceux de La Réole, quel beau voyage ! Nous vivions d'amour et d'eau fraîche. Mais voilà, ma mère ne m'avait pas tout dit. Elle avait oublié de me parler de ces drôles de créatures qui vous attendent montées sur d'étranges machines et que l'on appelle parait-il des pêcheurs.

 

Les pêcheurs de Couthures

Depuis quatre générations la famille Gauthier est installée à Couthures sur Garonne et se consacre à la pêche de la lamproie (une tonne et demi de prise par an en moyenne). Les deux frères ont repris l'affaire familiale depuis 1993. La lamproie, ils l’ aiment, ils la respectent. Ils reconnaissent en elle un animal différent de l'alose qu'ils pêchaient encore il y a 5 ans ou de l'anguille que l'on rencontre toujours dans le fleuve. «Elle a ses mystères, ses caprices, ses moments : quand les eaux sont très boueuses, c'est à nous de nous adapter – Pêcher oui, déflorer le plaisir ou détruire les espèces non ». Le soir quand la nuit tombe, ils chargent leur barque de longues nasses, en plastiques aujourd'hui, en osier hier. Arrivés sur les lieux de passage qu'ils cherchent longtemps parfois, ils jettent les « paniers pièges »et repartent. Dans la nuit les lamproies semblent être aspirées par cet entonnoir où elles entrent sans pouvoir ressortir. Le lendemain à l'aube les pêcheurs reviennent, remontent les nasses et ramènent jusqu'à leur laboratoire super équipé les longs serpents gluants qui frétillent encore. Tout d'abord, ils les électrocutent. Ensuite ils les pendent à des crocs de bouchers et les pèlent en retournant la peau comme un doigt de gant. Une incision au ras de la queue, un plat posé en dessous pour récupérer le sang qui servira à la préparation de la sauce qui fait en partie la réputation de l'animal. Voilà la boucle bouclée. Il ne reste maintenant qu'à mijoter la lamproie. La journée a été longue, les pêcheurs Philippe et Sébastien sont fatigués car la pêche peut durer de janvier à mai selon la température, l'aspect de l'eau, le niveau du fleuve. « Nous dépendons de la lamproie et de la nature et c'est bien ainsi : un beau métier » concluent les deux frères avant de nous donner leur recette car ils cuisinent eux-mêmes la reine du fleuve.

Vous me connaissez bien maintenant, mais ne soyez pas tristes. Je suis là, dans votre assiette, vos yeux pétillent de gourmandise comme les étoiles au-dessus de l’océan et le cristal scintille comme l’eau de la Garonne sur les galets du nid. C’est magnifique ! J’ai fait le plus beau voyage de la vie vers la vie. De nouvelles lamproies viendront après moi, alors, sans regrets, régalez-vous.

 

Dany Guillon

La reine du fleuve (D. Guillon)
La reine du fleuve (D. Guillon)

Le jardin de la lamproie, Lavagnac, 33350 Sainte Terre

Dans la vallée de la Dordogne, entre le Saint-Emilionnais et l'Entre Deux Mers 

tel : 05 57 47 14 34

E-mail contact@jardindelalamproie.fr

Site internet: www.jardindelalamproie.fr