Un printemps sans détours

La nature revit, la sève remonte, c’est la floraison des plantes et la fonte des neiges, voici le printemps.

 

La jacinthe, fleur décorative et le mimosa au parfum capiteux ( G. Gochetti)

Dans l’éternelle ronde des saisons, de l’équinoxe de printemps au solstice d’été, bien des clichés sont utilisés à l’égard du printemps, pourquoi semble-t-il si fugace ? L’Observatoire a voulu percer le mystère de cette saison, elle s’est livrée sans retenue.

 

— L’Observatoire : Quel est le véritable visage du printemps ?

 

Je m’identifie volontiers à une gourgandine qui s’arrache du giron d’un vieux barbon, le général Hiver, pour se jeter dans les bras d’un éphèbe aux yeux de braise, l’Été. Passer ainsi d’une glaciale hibernation à l’incandescence des sens n’est pas une sinécure et cet irritant phénomène perdure depuis la nuit des temps. Pourtant Ramón Gómez de La Serna affirme : « Aimer les jours d’hiver, c’est un plaisir de provinciaux et de centenaires », Jean de la Ville de Mirmont, parlant de l’été écrit : «  Vos chemins sont déserts et vos sources taries, et vous ne laissez, ô cruelles saisons, que le parfum séché de vos herbes flétries ». J’ai de qui tenir, ma marraine Flore, bien que déesse des fleurs, du jardin et de la fécondité dans la Rome antique, était aussi une courtisane.

 

— Quelles qualités vous reconnaissez-vous ?

 

— D’abord le côté éphémère que l’on me prête est sûrement dû à ma situation inconfortable, prise dans un étau, entre hiver et été. N’en déplaise à mes détracteurs qui fustigent les printemps pourris et leurs giboulées, je reste le symbole du renouveau, comme le dit si bien Racan « Enfin la neige et la glace font à la verdure place ». Le renouveau, c’est la Renaissance et ce tableau de Botticelli Le printemps où figure d’ailleurs Flore, ce mélange de profane et de sacré, c’est tout à fait moi. C’est aussi la Révolution et l’utilisation de mon patronyme lors du Printemps des pays arabes. C’est l’éveil à la culture avec le Printemps des poètes, incontournable depuis 1999 ou le Printemps de Bourges dont la 41e édition se déroulera en avril

 

Le monde des arts vous choisit souvent comme thème !

 

— Après Botticelli, Jean-François Millet m’a honoré, moins connu que L’Angélus, son Printemps est un des joyaux du Musée d’Orsay. Pour Vivaldi, je suis le premier concerto des Quatre saisons, que dire de Stravinsky qui permit à Nijinski de triompher dans Le Sacre du Printemps. Les plus grands poètes m’ont magnifié, Victor Hugo, Lamartine, le sculpteur Bouchardon m’a consacré un sublime bas-relief dans sa Fontaine des Quatre Saisons, rue de Grenelle à Paris. Dans le domaine de la chanson, Ferré, Brel, Piaf m’ont rendu hommage. Une actrice célèbre, Yvonne Printemps a rayonné sur la scène et à l’écran, une chaine de magasins arbore toujours mon nom.

 

— La flore et la faune vous doivent beaucoup.

 

— Sachez que ce coquin de printemps est associé aux amours, à la jeunesse, à la reproduction et à la sensualité. La montée de la sève et le bourgeonnement font revivre les arbres dépouillés durant automne et hiver, mais un troublant picotement gagne aussi les veines des humains. L’herbe neuve et verdie fait le bonheur d’un bétail réduit au foin, c’est le réveil des animaux hibernants et le retour des oiseaux migrateurs. Les fleurs sont toutes mes filles, j’avoue pourtant quelques préférences, pour le perce-neige très symbolique, pour le souci qui fleurit jusqu’aux gelées, pour le narcisse des poètes, peut-être à cause d’un égo démesuré. La primevère, surtout la sauvage appelée coucou, considérée comme quelconque, tient une grande place dans mon cœur. Le langage des fleurs est si beau, il faudrait éviter les expressions familières comme « au ras des pâquerettes », « envoyer sur les roses ».

 

Quelques mots pour conclure ?

 

— Pour cela, je sollicite deux poètes, Racan : « La tristesse se retire/Et personne ne soupire/S’il ne soupire d’amour »

Et Jean de la Ville de Mirmont : « Adieu rhumes et fluxions/Adieu l’hiver saison brutale/C’est ou jamais l’occasion/D’avoir l’âme sentimentale ».

Amis du printemps, goûtez l’instant présent, l’été meurtrier arrive !

 

 

 

Claude Mazhoud